manon

Retour sur quatre années d’exil berlinois

SAMSUNG

A Prenzlauer Berg, on a beau s’être « gentrifiés », on s’aime encore… 

Quand j’ai quitté la France en 2009, tout le monde me demandait ce que j’allais bien pouvoir faire à Berlin. Aujourd’hui, même si certains s’acharnent à vouloir savoir « quand je vais rentrer », on me demande plutôt comment j’ai fait pour m’installer durablement dans la capitale la plus convoitée d’Europe. Après quatre ans de vie à Berlin, je n’en finis pas de découvrir cette ville et d’en être amoureuse

Fin 2008. Je rentre d’Irak où j’ai travaillé pendant un mois (ça fait vieux loup de mer, hein). Après cette expérience flamboyante, Paris me semble une étendue de bâtiments haussmanniens à pleurer d’ennui. La petitesse des espaces et des esprits ronge mes envies de liberté. Au festival du cinéma allemand, à l’Arlequin, j’assiste à une projection de Berlin Calling, ce film techno-berlinois avec le DJ Paul Kalkbrenner. Rarement Berlin a été aussi bien filmée que dans ce long-métrage de Hannes Stöhr. C’était vraiment le Berlin que je connaissais. Je suis sortie du cinéma et j’ai appelé Madame de…, ma meilleure amie.

Je me barre à Berlin. Je déménage.

Alors moi aussi, a-t-elle répondu.

1er janvier 2009. Mon amie va me rejoindre dans quelques jours ; elle est actrice et elle est en tournée promotionnelle sur son dernier film. Je suis seule dans mon nouvel appartement, celui que je partagerai bientôt avec Madame de…. Il est si grand que je pourrais organiser un cours de salsa dans le salon. Et si lumineux que l’éclat de la neige par la fenêtre m’aveugle presque. Et si haut de plafond que j’ai l’impression que je pourrais m’envoler. Adieu, clapier à lapins parisiens!

Dans la cuisine, j’écoute les nouvelles radio, RFI bien sûr, en ce premier matin de ma nouvelle vie allemande.

La chanteuse Lhasa est morte d’un cancer à l’âge de trente-huit ans…

Soudain je relève la tête, et alors qu’ils passent une chanson de Lhasa, je me mets à pleurer. Quand j’avais seize ans, j’écoutais Lhasa en boucle, je ne parlais pas un mot d’espagnol mais une amie me traduisait les paroles, je les chantais à la guitare, j’aimais le grain de sa voix épuisée, grave et sensuelle, et le jour de mon arrivée à Berlin – Lhasa mourait. Aujourd’hui, j’y vois peut-être une métaphore. Avec Lhasa, c’est mon adolescence qui s’envolait. M’exiler à Berlin était une vraie volonté de vivre à ma manière.

Je reçois tous les deux jours des mails de lecteurs qui cherchent à s’installer ici. Je ne peux que les encourager à le faire, si leur motivation est profonde. Il faut apprendre l’allemand, et vite, très vite. Au début, je prétendais ne pas parler l’anglais, pour que les Allemands soient obligés de s’adresser dans leur langue. C’est un bon truc. Très vite aussi, je suis tombée amoureuse d’un Autrichien rencontré dans un festival de cinéma, nous avons vécu ensemble et j’ai appris un allemand truffé de mots bizarres que seule une poignée de montagnards de la région de Graz utilise. Un autre bon truc, même si ça s’est fini dans le sang et la bataille de Wiener Schnitzel.

J’ai trouvé du travail, assez vite, parce que je m’acharnais, j’ai appris petit à petit à m’habituer aux arcanes complexes de l’administration allemande (pas du tout plus organisée que la française, malgré le cliché) et puis finalement, au bout de quatre ans, oui, je peux le dire : je n’ai aucune intention de m’en aller, je compte bien garder cette liberté chèrement acquise.

Je ne connais aucune autre ville où l’on ne sent jamais le regard culpabilisant de la société sur les artistes. Il n’y a pas d’autre ville en Europe qui offre autant d’événements culturels, qu’ils soient in ou off, parallèlement à un coût de la vie aussi bas. Vivre dans 90 mètres carrés et être free-lance, c’est possible ici. Pas d’embouteillages, de la place pour s’asseoir dans le métro, des marchés bio et locaux abordables, des bars ouverts jusqu’à l’aube, de larges pistes cyclables pour se promener le nez au vent, des espaces verts innombrables… et une vie nocturne incomparable.

Et puis ce mélange cosmopolite qui me donne le sentiment de vivre au coeur du monde, un monde changeant, moderne, mais qui a droit à la simplicité et à la mélancolie, un monde pas encore seulement régulé par le marché. Et même si je vois nos quartiers s’embourgeoiser, je vois aussi tous ceux qui se battent pour faire de Berlin un espace de liberté pour tous, chaque jour, avec détermination et sans hargne, dans toutes les couches de la société. Berlin n’est peut-être pas le paradis de tous, mais c’est le mien et cela peut être celui de tous ceux qui s’en donnent la peine.

Un peu tard, je vous souhaite à tous une magnifique année 2013 – et je vous annonce avec joie ma collaboration avec le site Connexion Française pour lequel je suis désormais éditorialiste et chroniqueuse… affaire à suivre!


Faut-il, ou pas, adopter un chat berlinois

mumin kalender internetschau23

Calendrier 2011 par l’artiste Timo Schmitt, chat Mumin de l’artiste Bine Hu

Chacun cherche son chat, et l’une de mes résolutions de 2013 est justement de mener une vie plus régulière, plus saine, en adoptant… un chat. Le chat serait l’ami du fêtard berlinois, son repentir, son salut. Il forcerait le party-animal à rentrer chez lui, à se lever pour ouvrir la porte à son compagnon à poil, des trucs comme ça. La question de cette fin d’année 2012, donc, est la suivante : pour devenir une femme parfaite, dois-je, moi aussi, adopter un chat berlinois? 

Il est notoire que la fête est la meilleure ennemie de tous les Berlinois. Un nouvel arrivant dans la capitale allemande se jette immanquablement à corps perdu dans le tourbillon de la nuit électrodeutsch. Clubs oufs, bières et cocktails à deux sous, liberté sexuelle, liberté de déguisement (à ce niveau-là on ne parle plus de mode) sont les atouts majeurs des fêtes berlinoises. La fiesta commence environ le jeudi soir et s’arrête quelque part dans la journée du lundi, à un horaire indéfini, sur un terrain vague, en pleine descente de griserie.

Mettons que vous soyez étudiant : cela ne dure qu’un temps. Une fois votre Erasmus terminé, vous rentrerez à peu près dans le rang et vous pourrez vous construire un avenir. (Quoique. Mais nous débattrons de cela plus tard).

En revanche, si vous avez le malheur d’appartenir à l’une des catégories socio-professionnelles suivantes, vous êtes perdu : musicien, acteur, réalisateur, écrivain, journaliste, graphiste, web-designer free lance, publicitaire, chargé de projet dans l’événementiel, peintre, sculpteur, plasticien, illustrateur, styliste, technicien du spectacle ou du cinéma, danseur, stagiaire à l’Ambassade de France, minijobeur ou chômeur. Sans horaires fixes, sans autre discipline que la vôtre, vous vous faites littéralement bouffer par la fête cinq fois par semaine. Généralement, le week-end, quand les autres sortent, vous dormez pour ne pas mourir.

Pire que tout, mes amis, l’alcool ternit les cheveux, fait grossir et vous mène dans des draps indésirables. Ce n’est pas Bridget Jones qui dira le contraire. Ayant une nature de Partytier (« animal de fête ») comme on le dit joliment à Berlin, je cherche à adopter un chaton pour contrer la bête en moi, retrouver des cheveux éclatants, une ligne de bombasse et éventuellement, ma virginité.

Mon ex-Prinz, qui fait partie d’un groupe de rock berlinois très sexy, était un junkie de nuit de premier ordre. « Au début, se lever à 17h, ça fait bizarre. Après deux semaines, c’est les autres qui sont bizarres », telle était sa devise. Toutefois, pour ne pas crever un jour dans les toilettes sales d’un club à sept heures du matin, il s’est acheté un chat. Et ce chat a sauvé sa vie, tout en nous conduisant à la rupture.

L’ex-Prinz en question s’est mis à aduler cette boule de poils, rentrant à minuit, ne buvant pas pour être capable d’ouvrir la boîte de Whiskas à son retour à la maison, se promenant avec du gravier à litière entre deux concerts. Photos du chat jouant avec un bouchon de pinard, photos du chat rêvassant à la fenêtre de son appart’ déglingué, photos du chat sautillant sur les touches du piano : son mur Facebook ressemblait à un calendrier pour maison de retraite.

Couverte de poils (super-longs, car la bête est de race) et agacé par cette chute de rock n’rollisme chez mon amoureux, je pris mes cliques et mes claques pour continuer les nuits berlinoises de mon côté.

Mais vient le temps où, telle Bridget Jones donc, je me rends compte que je suis trentenaire, que j’ai des films à faire, peut-être (qui sait), pire, des enfants (un jour, un jour lointain). J’ai pas mal d’heures de sommeil à récupérer, quelques petites culottes devenues trop petites et je ressens une certaine fatigue à raconter des idioties dans les bars à partir de cinq heures du matin.

Je voudrais un Chartreux. Ils sont gris, ont le visage fin, la queue touffue (c’est justement ce contraste qui me plaît) et des yeux d’or liquide. Il paraît qu’ils sont très résistants à la maladie. C’est important. Je n’aimerais pas refiler une gastro malheureuse à mon pauvre minet. Je pense le baptiser Sigmund (comme Freud) ou Lexomil, car il est censé me tranquilliser. Mais une boule de poils gris-bleu peut-elle parvenir à combattre ce virus terrible des nuits berlinoises, dont je n’ai pas su me débarrasser en quatre ans?!

Vais-je devenir une freak du chat, une mémère débile? Chers lecteurs, qu’en pensez-vous et que me conseillez-vous?


Le kitsch à la deutsch : un scénario

« Voll normal », perfection cinématographique du kitsch deutsch

Même si l’origine du kitsch est incertaine, on peut penser que le mot est allemand. Le kitsch est devenu de très bon ton chez les branchés berlinois, et la tradition du mauvais goût affirmé est longue chez les Germains, à en croire une certaine esthétique cinématographique et télévisuelle. Un ami allemand m’a forcée récemment à regarder « Voll normal », un film des nineties où le kitsch règne en maître. Eclairant

Scène d’hiver à Berlin. Un café cosy. Le haut-parleur diffuse du swing français des années vingt. Sur une délicieuse table basse triangulaire seventies, chinée aux puces de Mauerpark, un napperon en crochet fuschia disposé avec amour accueille un service de porcelaine à motifs psychédéliques. La lampe à abat-jour frangé jette une lumière doucement rosée sur les coussins brodés de têtes de yorkshires. 

Plan sur la neige, dehors, dans cette rue de Neukölln, à Berlin.

Par la porte vitrée entrent nos héros : CARA (Américaine, 25 ans) leggings en laine imprimés d’un motif de puzzle Ravensberger, pull en mohair acrylique bleu pâle des années 80, des flocons dans ses cheveux dirty blonde, collier en toc doré représentant un serpent (qui lui vient de sa grand-mère de Dresde), air blasé, nez rougi, joues fraîches, tatouage à tête d’indien Géronimo sur le poignet. JAKE (Canadien, 30 ans), moustache d’Astérix enneigée encadrant une mine également blasée, jean slim tie-and-dye faussement Ibiza, tatouage d’aigle royal sur le torse « I love Nirvana », chapka en lapin noire, ironiquement achetée chez les vendeurs de cochonneries post-soviétiques près du Mémorial du Mur de Berlin. Tous deux portent d’immenses lunettes de vue à monture moutarde. Ils s’assoient et commandent un « Omas Glühwein« , un vin chaud comme chez mémé.

Le kitsch, c’est tellement cool. Les Américains et les Canadiens croient trop souvent détenir le monopole du cheesy, du kitsch. Erreur. Le kitsch branché trouve ses origines dans la tradition deutsch, j’en suis persuadée.

Les origines du mot kitsch sont incertaines, mais pourraient fort bien être une déformation du verbe allemand « verkitschen«  qui signifie « brader ». Depuis Louis II de Bavière et son castelet qui inspira celui de Disney – ce qui n’est pas rien en termes de kitsch – l’Allemagne se montre novatrice dans ce domaine esthétique aujourd’hui si prisé des hipsters du monde entier.

Philipp, 23 ans, vient de Karlsruhe et a grandi avec le kitsch deutsch. Batteur de rock, il a eu l’honneur de jouer pour une chanteuse de Schlager Musik réputée, Nicole. Qu’est-ce que le Schlager ? C’est ce que vous entendez lorsque vous vous attablez au comptoir d’un de ces bars où l’on joue aux fléchettes et où la boule à facettes éclaire les bouteilles de Jägermeister à toute heure du jour. Le rythme est entraînant, façon fête foraine, et les paroles romantiques égrènent les désillusions des sexagénaires des quatre coins de l’Allemagne. A côté, Michel Sardou, c’est de la méga-gnognotte.

Philipp, donc, a des effigies en carton grandeur nature de stars du porno allemandes dans sa chambre, et rêve de lancer une série de T-Shirts ironiques à motifs issus de son film préféré, Voll normal. Il m’a forcée à le regarder.

Voll normal (« Complètement normal ») serait donc la genèse de la maîtrise du kitsch pour les jeunes Allemands. Nous avons grandi avec Les Bronzés ou Les Visiteurs, mais rien de tout cela ne peut arriver à la cheville du kitsch de Voll normal.  C’est l’histoire d’un abruti genre Forrest Gump, un vrai débile, mais en plus déconneur, qui rêve de se taper une star du porno appelée Gianna et a des problèmes avec des fans de tuning bodybuildés. Le personnage est joué par Tom Gerhardt, un acteur au talent douteux, dont le jeu est tellement artificiel qu’il en devient touchant. Le père du héros, joué par le même acteur (dont l’ego semble plutôt à l’aise avec lui-même), fantasme avec sa femme sur l’ouverture d’un club des amis du teckel.

L’esthétique du film est à la hauteur de nos attentes : pavillon de banlieue à Cologne, berger allemand, pétasse dodue en bikini léopard, voitures allemandes à foison, vieux portant un chapeau vert à plume de faisan, vieille en tablier fleuri criard et surtout, des litres et des litres de bière. Derrick meets Forrest Gump meets Les Bronzés. C’est un peu ça, Voll normal.

Imaginez à quel point cette expérience était troublante pour quelqu’un qui fait des études de cinéma, comme moi. J’avais sous les yeux l’origine même de l’humour de toute une génération de trentenaires branchouilles allemands. Blagues débiles, personnages unidimensionnels débiles, décor débile (le cinéma porno, le bowling, le resto de l’immigré grec du coin à Cologne), histoire complètement débile. Au bout d’un certain temps, vos neurones finissent par être vraiment excités par toute cette débilité. L’absence de distance comme parti-pris narratif fonctionne à plein régime et provoque une hilarité salvatrice. Si si. Je vous le jure. J’ai ri comme si j’avais mangé trois muffins à la marijuana. J’ai littéralement adoré.

Bref, pour comprendre ce qu’est le kitsch pur, le kitsch 100% authentique, regardez Voll normal. Le kitsch est deutsch, c’est sûr ! Oder ?


Medley des pires idées économiques allemandes

Dans l’espoir que Mme Merkel ne souffle pas trop d’idées farfelues à notre François national…

Cela fait un mois que je suis en France pour raisons professionnelles. Il me suffit d’allumer la radio pour entendre, tous les jours, certains économistes et hommes et femmes politiques vanter le modèle économique allemand. Miss Merkel est venue tancer le gouvernement cocorico sur ses mauvaises notes. Chez beaucoup d’Allemands de ma connaissance s’est également répandue l’idée saugrenue que leur économie est en pleine forme.  Certes… mais à quel prix ? Celui de la jeunesse sacrifiée, de nombreux salaires misérables sans revenu minimum, et d’une protection sociale qui laisse grandement à désirer.

Loin de moi l’envie de vous faire un billet économique. J’en serais bien incapable. Mais moi qui vis à Berlin, je suis navrée : je ne souhaite pas aux Français de connaître Hartz IV (l’équivalent allemand du RSA), ni le chaos des assurances maladies multiples et hors de prix, ni la médecine quasiment à deux vitesses, ni le minijob à 400 euros. Non, je ne souhaiterais même pas ça aux Suisses – qui pourtant le mériteraient, à force de planquer les dollars tachés de sang des pires mafias du monde. Lexique des mauvaises idées deutsch, à ne surtout pas reprendre par le nouveau gouvernement français.

Hartz IV

Probablement l’idée la plus nulle que des socialistes allemands aient jamais pu avoir. Hartz IV, c’est ce qui vous attend quand vous n’avez plus droit à rien, une sorte de RSA. Mais pour ça, il va vous falloir passer par les mains d’un service appelé Job Center et que pour ma part j’appellerai volontiers Humiliation Center. L’on vous y fait attendre debout, en file, sous le regard d’un cerbère, comme pour bien vous faire comprendre que, pauvre, vous êtes un criminel en germe.

Il vous faudra présenter vos extraits de compte tous les mois. Gare à vous si ce dernier montre une mention du genre « LE RESTAURANT MORITZ VOUS DIT MERCI! » Quoi, manant, vous avez osé aller au resto pour votre anniversaire au lieu de manger des raviolis Lidl? Gare à vous aussi si votre compte montre le moindre dépôt d’argent alors que vous êtes censé vous débrouiller avec les 400 euros du Hartz IV. Votre sœur vous a prêté cent euros? Planquez vite ça sous le matelas.

Autre horreur liée à Hartz IV : le job à 1 euro. Si vous refusez pour la troisième fois de prendre un boulot d’assistant en boucherie à Leipzig alors que vous êtes diplômé en informatique et vivez à Berlin, l’État peut vous forcer à travailler pour une foule de boîtes qui vous paieront… 1 euro de l’heure. Un peu comme dans un sweatshop en Malaysie, quoi.

En 2011, Hartz IV a été déclaré contraire à la Constitution allemande. Ce qui ne l’empêche pas d’être encore en vigueur.

Les caisses d’assurances maladie

Contrairement à la France, où l’on a sa sécu + une mutuelle, l’Allemagne dispose d’un double système d’assurance maladie : la publique et la privée. Les caisses publiques sont peu flexibles et plutôt destinées aux salariés en CDD ou CDI. Elles offrent une bonne couverture sociale. Assez chères au départ, elles sont sur le long terme moins coûteuses pour l’assuré. Les caisses privées sont plus souples, mais une fois que vous y avez été assuré, vous ne pourrez presque jamais plus retourner dans un système d’assurance publique. Les employeurs comme les salariés, les chômeurs et les free-lance en perdent leur latin.

Elles encouragent un système de santé à double vitesse. Les assurés privés obtiennent des rendez-vous beaucoup plus vite et plus tôt que les assurés du public.

Il est facile en France de montrer du doigt la dette de la santé publique :  dans l’ombre, les multiples caisses d’assurance maladie allemandes sont presque toutes en faillite ; mais atomisées, leurs dettes sont moins visibles.

Le minijob

L’un des plus grands scandales allemands, à mon avis. Comment un pays aussi civilisé que celui-ci peut-il volontairement sacrifier sa jeunesse avec le système du minijob? Le minijob permet aux entreprises de payer ses salariés 400 euros par mois, sans verser de charges sociales, celles-ci étant prises en charge par l’État, si vous êtes étudiant.

Malheureusement, le système du minijob peut être appliqué à n’importe quelle catégorie sociale. Nombre de jeunes gens sont obligés d’accepter ce job à 400 euros, même s’ils ne sont plus étudiants, tout simplement parce qu’il n’y a rien d’autre. Tenez-vous bien : dans ce cas, ils doivent payer leur sécu eux-mêmes. Et celle-ci oscille entre 200 et 300 euros par mois!

Les entreprises allemandes usent et abusent du minijob. Après des années de stage sous-payées, les jeunes diplômés doivent encore se taper l’humiliation du minijob. Parents, mettez la main à la poche si vous ne voulez pas voir vos enfants sombrer dans la dépression!

L’absence du revenu minimum

No comment. La simple évocation de l’absence de revenu minimum me fait bondir!

Il m’est arrivé de travailler avec une équipe dans laquelle des gardiens de musée, par exemple, étaient payés 4,50 euros de l’heure. Ils avaient tous plus de quarante-cinq ans, une expérience de plusieurs années dans le métier (sécurité des visiteurs, connaissance de plusieurs langues pour l’accueil des étrangers, connaissance des collections du musée, bases d’Histoire de l’Art…!!!) une famille à nourrir et ils faisaient des kilomètres en S-Bahn (équivalent du RER) pour venir travailler.

Cher François, cher Président français. N’écoute pas trop ceux qui te serinent que l’Allemagne se porte comme un charme. Les dépenses de santé, la protection des salariés et des chômeurs sont à mon avis indispensables à la cohésion sociale. On a tendance à l’oublier. On verra ce qui se passera quand il n’y aura même plus Hartz IV en Allemagne… Mister Hollande, si tu veux piocher dans les idées de Miss Merkel, je t’en supplie : ne va pas pêcher celles-là.


L’amour version CECA

Beau gosse à l’allemande, hélas mort depuis longtemps. (Karl Begas, « Autoportrait »)

La CECA, c’est l’amour du charbon et de l’acier, c’est aussi le mariage forcé de la France et de l’Allemagne. Le couple franco-allemand, qu’il s’agisse de Merkel et Hollande comme des pékins moyens des deux côtés du Rhin, est une chose presque contre nature. C’est bien pour ça que c’est sexy, et que votre blogueuse looseuse a tenté de résoudre l’équation plus d’une fois – en dépit de résultats souvent piteux

Oui oui, chers lecteurs, cela m’est arrivé plus d’une fois, de tomber en arrêt devant un bellâtre allemand. Ici une mèche déstructurée, là un air pâle et romantique, tout près une haute taille svelte et pleine d’allant, plus loin, un regard d’intello genre Rilke meets Goethe ; pour faire court, Berlin ne manque pas de beaux gosses (bonne nouvelle pour les immigrées récentes, hein?).

Je vous épargne les détails de la séduction entre la Gauloise et le Teuton. Ils sont croustillants, ridicules et pathétiques, mais je vous les ai déjà décrits en long et en large l’an dernier. Cette fois je souhaite m’attarder sur l’entreprise délicate que constitue tout couple franco-allemand.

1. « Vous les Francais, vous êtes accros au romantisme » vs. « Vous les Allemands, vous ne savez pas entretenir la flamme »

« T’es accro au romantisme » : voilà ce que j’ai entendu de la bouche de mon ancien bien-aimé  (à mèche déstructurée) dans l’affreuse ville de Francfort*, un jour de printemps. Il paraîtrait que nous sommes des harpies en demande d’attention perpétuelle, qu’il nous faut des mots doux tout le temps, des couronnes de fleurs et des promesses de neiges éternelles. Les Allemandes seraient bien plus raisonnables. Mon œil.Tout ça parce que j’avais osé réclamer un baiser dans le métro. (Sale type).

2. « Zusammen oder getrennt? » ou le supplice de l’addition au restaurant

Et pas qu’au restaurant. Au café, au bistro, en boîte de nuit. Il suffit que le serveur se ramène avec cette question pour que j’aie des sueurs froides. En France, on s’invite à tour de rôle (et encore, quand le jeune homme n’est pas susceptible). En Allemagne, c’est chacun pour son petit compte en banque. L’épreuve de l’addition est terrible : plusieurs fois, j’y ai laissé mon cœur, voyant que le Prinz Charmant hurlait « getrennt » (« on partage ») à la vue de la moindre machine à carte. L’Allemand, lui, comprend mal le principe de l’invitation à tour de rôle, et se sent régulièrement blousé.

3. Le phénomène du front bleu

C’est un charmant lecteur (français) qui m’a suggéré ce nom qui désigne le syndrome terrible de la Française se prenant la porte dans la gueule par son amoureux. La Française en effet n’a pas toujours le réflexe de survie de l’Allemande, qui consiste à rattraper lestement, sans le moindre soupir offensant pour le mâle impoli, une porte de dix tonnes qui se rabat sur elle avec la violence d’un char prussien, après avoir été ouverte par son petit ami qui, cela va sans dire, lui est filoutement passé devant. La galanterie est rare en Allemagne. Bien souvent, elle est considérée par les Germaines elle-mêmes comme la marque d’un affreux machisme. C’est ainsi que la Française, qui, elle, se fout de l’égalité sexuelle au niveau de la porte d’entrée, se retrouve avec le front marqué d’un hématome disgracieux. (Cela dit, mon nouveau Prinz, lui, me tient la porte et s’efface devant moi, du jamais vu ! Mais il adore le fromage et le saucisson, il y a du sang de cocorico chez ce garçon).

 4. L’amazone teutonne

Les histoires de lit sont plutôt étonnantes. Alors qu’en France, le mâle se croit souvent obligé de déployer sa force virile, l’Allemand, lui, aime bien se laisser chevaucher par son Amazone. Ce qui risque bien sûr de désarçonner la Française, qui n’est pas tout à fait habituée à ce qu’on lui file la télécommande et les manettes. Et ce qui peut, donc, raser notre Allemand, évidemment, qui s’attend à une créativité de dingue de la part de la demoiselle – surtout qu’on lui a bien imprimé dans le crâne depuis la nuit des temps que la femme française était le comble de la sensualité. Sylvia Kristel est peut-être morte, mais Emmanuelle, elle, est impérissable.

Bref, rien de moins simple que l’amour version CECA. Pourtant, Madame Merkel semble s’acharner. Difficile de résister au charme de nos présidents frenchies. Non, je déconne.

Dans quelques années, peut-être (et si vous êtes sages), je vous raconterai comment on élève des enfants à la franco-allemande. Ça ne doit pas être une mince affaire, ça non plus.


Illégaux mais légitimes : la Refugee Protest March

Depuis le 6 octobre, Berlin s’est enflammée pour une cause extraordinaire. Des centaines de demandeurs d’asile ont illégalement quitté les camps de réfugiés dans lesquels ils vivaient dans des conditions insupportables, à Chemnitz, Leipzig et dans d’autres villes de province. De Würzburg à Berlin, ils ont marché plus de quatre cent kilomètres pour protester devant le Parlement allemand. Jake Watson, Nils Meisel et moi-même sommes allés les rencontrer pour vous rapporter ce petit film de cinq minutes, fait dans l’urgence et avec les moyens du bord, afin de soutenir la cause de ces réfugiés dont l’audace a époustouflé l’Allemagne entière.

La Refugee Protest March : un reportage-docu de Manon Heugel (enquête, montage, voix-off), Jake Watson (caméra, montage) et Nils Meisel (son, mixage)


Eau de vie de Cologne

Rapportée de Cologne, la cathédrale sous sa neige de plastique

La semaine dernière, je vous racontais comment j’ai découvert les charmes de l’Allemagne non-berlinoise en me rendant à Hambourg. Cette semaine, Génération Berlin vous parle de Cologne, cité laide, mais revigorante comme une eau de vie bien fraîche, dont les habitants sont tous plus délicieux les uns que les autres

J’étais en tournage à Cologne récemment. C’est avec une certaine excitation que j’allais découvrir la ville dont proviennent les Allemands les plus sympas que je connaisse. J’avais la tête déjà pleine d’histoires sur Cologne – les uns m’avaient parlé de telle école franco-allemande où ils avaient fait leurs classes, les autres de telle rue devenue pour eux buissonnière.

Au premier abord, Cologne est sacrément vilaine. Bombardements oblige. La ville est une collection d’immeubles sixties, période architecturale réputée pour son goût douteux et son fonctionnalisme désagréable. Dans les bars, les restaurants, les boutiques, les grands Allemands m’apparaissent comme autant de Gullivers déambulant dans des maisons de poupées, tant les pièces sont basses de plafond.

C’est ce qui accentue encore le contraste avec l’immense Cathédrale de Cologne. Cet incroyable vaisseau de pierre gothique fut, jusqu’à la fin du XIXe siècle, le plus haut bâtiment au monde. Tout ça sans grue ni bulldozers – l’Empire State Building peut aller se coucher. Véritable trésor architectural, cette cathédrale de 157 mètres de haut recèle des surprises artistiques à chaque pilier, à chaque vitrail. Plantée au beau milieu de la ville comme un monstre sublime, elle écrase toute la ville de sa splendeur presque noire – un bon petit coup de karcher ne serait pas de trop.

Outre ces considérations historiques, il fallait bien que je découvrisse la ville comme il se doit : en y faisant la teuf, grave. C’est mon amie Kitty qui s’en est chargée. Et plutôt bien, voyez. Cette haute, blonde et charmante demoiselle, mi-anglaise mi-allemande, est une très jeune et intello party-girl de Cologne. Rencontrée à Berlin lors de pérégrinations nocturnes, j’avais pu mesurer son potentiel de fêtarde : pire que le mien. C’est dire. Pour elle, l’eau de vie, c’est de la flotte.

C’est d’abord au Salon Schmitz, un bar digne d’un film de James Bond, que Kitty me fait descendre des verres de Riesling, qu’elle additionne à ma grande surprise d’un trait de rhubarbe. Lys géants sur le comptoir, lampadaires seventies, brique sur les murs, le Salon Schmitz est un peu chic, un peu trash, mais ne ressemble à rien de ce que l’on voit à Berlin. Je me retrouve en pleine Guerre froide, avec ma Kitty en espionne british aux yeux couleur schnaps.

Distributeur de bas au resto-bar Hallmackenreuther

Les sixties règnent décidément sur cette ville. Au resto-bar Hallmackenreuther, dans le quartier branché dit « quartier belge », parce qu’il se concentre autour de la Brüsseler Platz, on peut encore admirer le distributeur de bas qui venait en aide aux élégantes aux jambes filées. La cuisine, à déguster dans des fauteuils rétro, y est admirable – et le service tout autant. La légendaire amabilité colonaise est bien réelle.

Cathédrale, bars, restos : tout cela, c’est bien beau, mais Kitty n’avait pas encore sorti sa carte maîtresse. C’est lorsque je me retrouve à danser au beau milieu d’un superbe magasin de mode masculine élégamment appelé Monsieur Courbet, que je comprends à quel genre de ville j’ai affaire. Soit une ville fun, surprenante et peu conventionnelle.

Oliver, le patron de Monsieur Courbet, est un véritable charmeur colonais comme je les adore. Un peu Belmondo, un peu Steve McQueen, ce fou de mode et d’élégance sixties (encore une fois) m’ouvrit sa porte toute grande en me nommant « Madame l’accent ». Il s’empressa de faire de nous un portrait au feutre, nous vêtit de chapeaux d’homme et de vestes de velours bleu, et nous dansâmes, bûmes, rîmes dans ce décor improbable de vestons et de disques vinyles.

Ah, le charme des Colonais. Vous savez quoi? Tous les Allemands pour lesquels j’ai craqué sont, à l’origine, des Colonais. Rieurs, séducteurs, mais pas lourds : le parfait mélange entre le charme à la française et la pudeur à l’allemande. Ce qui m’amène au sujet de mon prochain article, soit l’amour version CECA*. Je vous avais déjà raconté les délires de la drague en Allemagne, il faut bien que je vous raconte comment ça se passe après…

Encore une petite eau de vie? Ja bitte. Mais à Cologne s’il vous plaît.

* Pour tous ceux qui me lisent qui ont passé leur bac il y a belle lurette et qui ont oublié comme tout le monde ce qu’est la CECA : il s’agit de la Communauté européenne du charbon et de l’acier  fondée en 1952 pour empêcher une nouvelle guerre entre la France et l’Allemagne. 


Les vertus du Hamburg(er) véritable

La poésie industrielle de la plage de Hambourg

Depuis que je vis en Allemagne, je dois bien dire que je n’ai pas vraiment fait le tour du pays. A vrai dire, en dehors de Berlin, le reste de la Germanie m’apparaissait un peu comme la patrie de Derrick, type Mercedes couleur caca d’oie et bergers allemands postés devant des pavillons aux tuiles lustrées comme chez les Playmobils. Un petit tour à Hambourg et à Cologne m’a dessillé les yeux

Hambourg. J’y avais été deux fois et je m’y étais un peu emmerdée. C’était d’ailleurs la première fois que je pénétrais dans un sex-shop, un de ces magasins du cul triste en enfilade sur le fameux Reeperbahn. J’en étais ressortie bredouille et lasse. Hambourg, pour moi, c’était ça : du fric (riche ville portuaire), de la brique rouge, des shops à fesses déprimées.

Pour les besoins d’un tournage, j’y ai passé quatre jours récemment. Verdammt! Quelle ville sympathique! La face dans les embruns de l’été indien, montée sur le ferry qui traverse le port de Hambourg, j’étais seule, lors d’une journée libre, pour découvrir une ville majestueuse et poétique. Devant moi, comme dans un travelling à la Wong Kar Wai, des chantiers navals sans fin, jaunes, rouges et bleus, écaillés par le vent et le sel, enrubannés de mouettes.

Ignare, je ne savais pas que le ferry allait me conduire à une plage. Une plage en pleine ville, nom d’un petit bonhomme, mais c’est Barcelone! Il n’y avait qu’un chien fou sur le sable pour me tenir compagnie. Sublime silence, paix divine. Derrière moi, Övelgönne, quartier résidentiel et chic de Hambourg, disséminait ses jolies villas en escalier parmi les arbres d’une colline.

Les créations de Katharina Czemper pour Maison Suneve, Hamburg (photo Valeria Mitelman)

Le calme fut de courte durée. car bientôt je rejoignais mes amis Katharina Czemper et Matthieu Voirin-Ancey dans leur charmante échoppe, Maison Suneve. Katharina est styliste. Ses créations ont trouvé leur écrin dans cette adorable boutique en entresol de la Markstrasse, en plein quartier branché du Karoviertel.

Un dîner au restaurant Brachmanns Galeron sut me convaincre par la finesse de ses plats, de ses vins, par le charme de son atmosphère cozy et de sa serveuse gourmette. Après quelques drinks au Toast Bar, où l’on s’envoie des cacahuètes nature dans le gosier toute la soirée, et où le DJ à barbe de hipster était très doué pour faire monter la température, je me disais déjà que Hambourg n’avait pas beaucoup à envier à Berlin en matière de Nacht.

Impression confirmée au Golden Pudel Club (littéralement « club du caniche doré »), petite boîte électro, intime et crado logée au bord du fleuve, parmi les halles à poissons… et où les DJs excellent.

Comment je retrouvai le chemin de mon hôtel reste encore un mystère. Hambourg, à deux heures de Berlin seulement, reste encore à explorer ! Dans le prochain article, je vous vanterai les joies de Cologne, ville fort moche mais grave sympa.


Les touristes ne rigolent plus à Berlin

L’esprit berlinois du moment, peint sur le verso d’une table pliante devant un supermarché de Kreuzberg

La fièvre anti-touristes fait frissonner Berlin. Les alternatifs, ou plutôt ceux qui prétendent l’être, ont décidé que tout ce qui ne parlait pas allemand était un sale capitaliste venu dépenser ses dollars dans des clubs technos super glitter. Une attitude étrangement oublieuse du passé allemand, à la limite du racisme, que tout Berlinois qui se respecte devrait surveiller de près

Samedi soir, vingt-trois heures, je marche dans une rue de Kreuzberg avec mon petit ami allemand, son meilleur pote et ma copine bosniaque, Ekatarina, avec laquelle je parle anglais. Une jeune femme titubante, une bouteille de Pils à la main frôlant gracieusement le béton à chaque pas, nous beugle au passage :

You can’t even speak German. Fuck you.

Nous lui rétorquâmes aussitôt en allemand d’aller se faire voir chez les Grecs. Ce qui la déstabilisa encore plus et nous craignîmes vite de la voir s’écraser contre un mur, ivre de bonne binouze bien de chez elle.

Vous imaginez-vous agresser un anglophone dans la rue à Paris parce qu’il a le malheur de ne pas parler français? Non. Eh bien, ceci n’est qu’un exemple – presque mignon – de l’attitude passive-agressive de certains jeunes Berlinois à tendance gaucho, à l’égard de tout ce qui ne leur semble pas être 100% deutsch, du cru, légitimement « d’ici ».

Le développement touristique de Berlin sur les dix dernières années est en effet impressionnant. Les clubs sont envahis, le week-end, de touristes venus s’amuser mieux que chez eux (il faut bien dire qu’on se fait super chier dans les fêtes parisiennes ou londoniennes si on n’a pas un rond). Parallèlement, le phénomène de la gentrification à l’œuvre depuis la Chute du Mur, dû en partie à l’afflux d’étrangers dans les quartiers branchés,  inquiète les vieux Berlinois qui se sentent dépossédés de leur ville.

Les parallèles se font vite : si les loyers augmentent, c’est parce que la ville devient hype, et si la ville est hype c’est parce que les jeunes étudiants et artistes étrangers nous envahissent, et donc tout ce qui parle autre chose que l’allemand est un sale connard de spéculateur en puissance venu nous voler notre pain, nos logements et nos femmes blondes. Tout ça en parlant anglais, en plus. La langue de Bush et de Schwarzenegger (ah, euh… à moins que la langue de Schwarzie ne soit l’allemand?).

Ces jeunes Berlinois, qui, parfois, aiment se promener avec des looks de punks à chien iroquois pour signifier à la société leur immense désaccord, se prétendent de gauche. La (vraie) gauche, c’est quoi? Voyons. Le fait de ne pas croire au système capitaliste? L’éducation pour tous? Des valeurs de partage, de tolérance?

Ah oui. Partage et tolérance.

On sait pourtant que les Berlinois ont mis des plombes à se sortir le nez de leur culpabilité post-nazisme. Longtemps, une blague raciste ou sur les Juifs (bien moche, telle qu’on en connaît en France) était un tollé absolu en Allemagne. Depuis deux ans, je sens un glissement. La peur qui étreint les Berlinois devant la hausse des loyers et l’ouverture de cafés vegan avec accès wifi est évidemment compréhensible, mais un peu exagérée. Et, pour notre malheur, la peur rend con.

Un bel exemple de connerie? Cette vidéo diffusée par le bar Freies Neukölln, dans la Weserstrasse, la rue de la fête à Neukölln (pour voir la vidéo cliquez ici). Cet antre « anarchiste » se permet d’insulter ouvertement ses clients d’origine étrangère et de moquer les étudiants qu’ils considèrent comme bobos dans une vidéo qui a fait scandale il y a un an. Les commentaires outrés des internautes germanophones prouvent cependant (ouf!!!) que les Berlinois allemands ont encore un peu de bon sens.

Cela fait onze ans que j’aime et que j’explore cette ville. J’y vis depuis quatre ans. Ce qui fait le charme inégalable de Berlin, c’est à mes yeux son fantastique cosmopolitisme. Ce sont mes amis allemands, autrichiens, grecs, italiens, français, américains, russes, marocains. Un de mes amis proches est un musicien de jazz israélien. Cela fait quatre ans qu’il vit à Berlin ; il y est devenu célèbre à force de travail et de talent. La dernière fois que j’ai bu un verre avec lui, il m’a annoncé qu’il voulait partir. Une bad vibe, me disait-il. Des relents pestilentiels pour le juif ashkénaze qu’il est.

– Et tu veux partir où?

– A Paris.

Mmmh. Ça sent mauvais tout ça, moi j’dis.