A Prenzlauer Berg, on a beau s’être « gentrifiés », on s’aime encore…
Quand j’ai quitté la France en 2009, tout le monde me demandait ce que j’allais bien pouvoir faire à Berlin. Aujourd’hui, même si certains s’acharnent à vouloir savoir « quand je vais rentrer », on me demande plutôt comment j’ai fait pour m’installer durablement dans la capitale la plus convoitée d’Europe. Après quatre ans de vie à Berlin, je n’en finis pas de découvrir cette ville et d’en être amoureuse
Fin 2008. Je rentre d’Irak où j’ai travaillé pendant un mois (ça fait vieux loup de mer, hein). Après cette expérience flamboyante, Paris me semble une étendue de bâtiments haussmanniens à pleurer d’ennui. La petitesse des espaces et des esprits ronge mes envies de liberté. Au festival du cinéma allemand, à l’Arlequin, j’assiste à une projection de Berlin Calling, ce film techno-berlinois avec le DJ Paul Kalkbrenner. Rarement Berlin a été aussi bien filmée que dans ce long-métrage de Hannes Stöhr. C’était vraiment le Berlin que je connaissais. Je suis sortie du cinéma et j’ai appelé Madame de…, ma meilleure amie.
Je me barre à Berlin. Je déménage.
Alors moi aussi, a-t-elle répondu.
1er janvier 2009. Mon amie va me rejoindre dans quelques jours ; elle est actrice et elle est en tournée promotionnelle sur son dernier film. Je suis seule dans mon nouvel appartement, celui que je partagerai bientôt avec Madame de…. Il est si grand que je pourrais organiser un cours de salsa dans le salon. Et si lumineux que l’éclat de la neige par la fenêtre m’aveugle presque. Et si haut de plafond que j’ai l’impression que je pourrais m’envoler. Adieu, clapier à lapins parisiens!
Dans la cuisine, j’écoute les nouvelles radio, RFI bien sûr, en ce premier matin de ma nouvelle vie allemande.
La chanteuse Lhasa est morte d’un cancer à l’âge de trente-huit ans…
Soudain je relève la tête, et alors qu’ils passent une chanson de Lhasa, je me mets à pleurer. Quand j’avais seize ans, j’écoutais Lhasa en boucle, je ne parlais pas un mot d’espagnol mais une amie me traduisait les paroles, je les chantais à la guitare, j’aimais le grain de sa voix épuisée, grave et sensuelle, et le jour de mon arrivée à Berlin – Lhasa mourait. Aujourd’hui, j’y vois peut-être une métaphore. Avec Lhasa, c’est mon adolescence qui s’envolait. M’exiler à Berlin était une vraie volonté de vivre à ma manière.
Je reçois tous les deux jours des mails de lecteurs qui cherchent à s’installer ici. Je ne peux que les encourager à le faire, si leur motivation est profonde. Il faut apprendre l’allemand, et vite, très vite. Au début, je prétendais ne pas parler l’anglais, pour que les Allemands soient obligés de s’adresser dans leur langue. C’est un bon truc. Très vite aussi, je suis tombée amoureuse d’un Autrichien rencontré dans un festival de cinéma, nous avons vécu ensemble et j’ai appris un allemand truffé de mots bizarres que seule une poignée de montagnards de la région de Graz utilise. Un autre bon truc, même si ça s’est fini dans le sang et la bataille de Wiener Schnitzel.
J’ai trouvé du travail, assez vite, parce que je m’acharnais, j’ai appris petit à petit à m’habituer aux arcanes complexes de l’administration allemande (pas du tout plus organisée que la française, malgré le cliché) et puis finalement, au bout de quatre ans, oui, je peux le dire : je n’ai aucune intention de m’en aller, je compte bien garder cette liberté chèrement acquise.
Je ne connais aucune autre ville où l’on ne sent jamais le regard culpabilisant de la société sur les artistes. Il n’y a pas d’autre ville en Europe qui offre autant d’événements culturels, qu’ils soient in ou off, parallèlement à un coût de la vie aussi bas. Vivre dans 90 mètres carrés et être free-lance, c’est possible ici. Pas d’embouteillages, de la place pour s’asseoir dans le métro, des marchés bio et locaux abordables, des bars ouverts jusqu’à l’aube, de larges pistes cyclables pour se promener le nez au vent, des espaces verts innombrables… et une vie nocturne incomparable.
Et puis ce mélange cosmopolite qui me donne le sentiment de vivre au coeur du monde, un monde changeant, moderne, mais qui a droit à la simplicité et à la mélancolie, un monde pas encore seulement régulé par le marché. Et même si je vois nos quartiers s’embourgeoiser, je vois aussi tous ceux qui se battent pour faire de Berlin un espace de liberté pour tous, chaque jour, avec détermination et sans hargne, dans toutes les couches de la société. Berlin n’est peut-être pas le paradis de tous, mais c’est le mien et cela peut être celui de tous ceux qui s’en donnent la peine.
Un peu tard, je vous souhaite à tous une magnifique année 2013 – et je vous annonce avec joie ma collaboration avec le site Connexion Française pour lequel je suis désormais éditorialiste et chroniqueuse… affaire à suivre!
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