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La poudre d’escampette

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Solitude dans la fête : Trixie on the Cot, New York City, 1979 (par Nan Goldin)

En février 2013, je publiais un article sur la « coke scene » à Berlin en forme de lettre ouverte à certains de mes amis cocaïnomanes. Je pensais alors qu’on ne pouvait pas aider quelqu’un à s’en sortir, sans que cette personne ne le veuille elle-même. Un an après, je vois les choses un peu différemment

Je me revois encore à cette table de restaurant, dans Neukölln, assise face à une amie proche – appelons-la Claudia. Une personne douée de beaucoup de talents et avec qui j’avais beaucoup fait la fête à Berlin. J’avais pris mon courage à deux mains, et un grand verre de Riesling aussi, pour lui avouer que je m’inquiétais sérieusement pour elle, parce que je la voyais glisser dans une consommation lourde et régulière de cocaïne.

Cette amie m’a fait la gueule pendant plusieurs semaines. J’avais décidé de ne plus la fréquenter, car je ne pouvais plus supporter de la voir gâcher sa vie, se taper des descentes monstres pendant lesquelles elle ne décrochait plus son téléphone, grossir à vue d’œil (la coke ne fait pas maigrir tout le monde – qui a envie de faire du sport et de picorer une salade de fenouil après une nuit blanche?) et pire que tout, être incapable de bosser.

Petit à petit, j’ai cessé presque complètement de la voir, car nos rapports étaient devenus intolérables. Claudia m’a envoyé un SMS :

C’est ça, abandonne tes amis...

J’avais trouvé, alors, ce message déplacé et culpabilisant. Ce n’était pourtant qu’un appel au secours. Bien naïvement, j’attendais qu’elle me rappelle pour me dire qu’elle arrêtait la drogue, qu’elle était sobre, que les petits oiseaux chantaient le matin pour elle, que sais-je. Ce coup de fil n’est pas venu et il ne viendra jamais : pour un drogué, se tirer d’affaire ne se joue pas en une nuit.

Puis Claudia a fini par me manquer terriblement. Je l’ai appelée, nous nous sommes vues. Nous avons passé du temps ensemble à discuter de tout et de rien, jusqu’à ce que cette discussion faite de petites choses devienne un fleuve charriant des émotions violentes et boueuses. La mort d’un père, l’isolement, la crainte d’être laide, le manque de confiance en soi vrillaient l’âme de ma pauvre amie.

Je me suis rendu compte, aussi, que Claudia était devenue le cheval de Troie de toute une bande de fêtards à moitié cocaïnomanes qui se servaient de son addiction pour sniffer à ses frais. Claudia ne supportait pas la solitude. Elle préférait se ruiner en drogue pour garder les gens autour d’elle jusqu’à l’aube, voire distribuer de la poudre à des hommes pour qu’ils se glissent dans ses draps.

Aussi ai-je voulu renouer avec Claudia. C’est un apprentissage douloureux. C’est mon amie la plus touchée par cette addiction. Ses réactions sont parfois insupportables. Délicieuse lorsqu’elle est high, elle peut devenir froide et calculatrice si elle a dépassé la dose qui lui fait du bien. Ses descentes la rendent maniaque à l’extrême. Elle ment souvent, pour masquer ses nuits de débauche solitaires. Je sais tout cela et pourtant je ne peux pas lâcher complètement Claudia, parce que je l’aime réellement ; même si elle me préfère souvent la compagnie de mecs débiles qui tapent en cercle dans les soirées sans adresser la parole à qui que ce soit.

J’aime mon amie totalement addict, car je sais que derrière sa folie pour la poudre blanche il y a une quête insondable, mystique, une folle course à l’amour. Claudia ne sait plus communiquer sans coke. Sa solitude terrible l’a entraînée dans la drogue et la drogue a noyé sa vie dans une solitude encore plus grande. Le serpent se mord la queue.

En lisant aujourd’hui cet article passionnant (lisez-le bien) j’ai pu mettre une logique sur le sentiment qui m’animait. L’addiction serait bel et bien le corollaire de la solitude. Quelques lignes de coke prises en soirée ne font pas de vous un accro, si vous êtes aimé. C’est aussi simple que cela. Aimé. Entouré d’amis, ou d’une famille, ou d’amants aimants, pourquoi vous rueriez-vous sur la drogue (à part pour faire une nuit blanche et faire le con en boîte – ce qui n’est pas la même chose?) L’article martèle cette idée forte : le contraire de l’addiction, ce n’est pas la sobriété, c’est le contact humain.

Les multiples expériences décrites dans l’article en témoignent, mais la pratique le prouve aussi. J’ai, dans ma jeune vie, approché de nombreuses personnes véritablement accros à une substance (drogue, alcool, nourriture). Elles ont toutes en commun une solitude extrême ou une incapacité profonde à établir un contact humain profond et durable.

Aussi, aujourd’hui, n’écrirai-je plus cette phrase : Par amour, je ne vous verrai plus. Vous ne gérez pas du tout. Je ne peux plus vous voir vous détruire.

J’ai décidé que j’aiderai Claudia à s’en sortir, plutôt que de lui tourner le dos. Comment? En l’aimant. En étant patiente. En fermant les yeux sur les broutilles et en continuant de mettre des limites là où j’en ai besoin. En l’écoutant, bien sûr, aussi. Il y a quand même chez les grands isolés, les grands perdus, des beautés magnifiques. Ils ont touché le fond et ils en rapportent des pierres noires et abyssales que personne ne veut vraiment voir… Claudia est accro, elle est seule, elle a mal, mais ce n’est pas une victime. L’avenir est devant elle. Ceux qui sont allés si bas peuvent remonter bien plus haut que les tièdes et les timides.


Neukölln : le croissant de la gentrification

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Les Berlinois les aiment, Kanye les adore

Bon bon, la gentrification… beaucoup de gens trouvent qu’elle a aussi du bon. Surtout lorsqu’elle se présente sous forme de véritables croissants Lenôtre. Il n’empêche que mon quartier est en train de se métamorphoser à la vitesse de l’éclair (*attention jeux de mots*) et que je l’ai en travers du gosier (filons la métaphore). Dans combien de temps ne me sentirais-je plus chez moi?

Cela fait bien sept mois que je travaille sur mon film et que, pour cette raison, j’habite temporairement à Paris, revenant à Berlin de manière sporadique pour régler des problèmes de chaudière et des envies de currywurst. Or, parce que je ne suis pas là souvent, la transformation de mon quartier me saute encore plus aux yeux.

L’autre jour, j’étais en repérage pour une marque d’appareils photo qui voulait trouver des coins inconnus de Berlin à immortaliser. J’avais rendez-vous avec une blogueuse allemande, ma partenaire sur ce projet. Nous commencions la journée à l’aube et j’avais un besoin démentiel de café.

Me voilà dans un troquet qui a ouvert il y a quelques années déjà, en face de la station de S-Bahn ; un mignon café rose pétard comme la petite culotte de Britney, qui n’était autrefois pas grand-chose : une pièce blanche avec deux tables hautes en planches, des magazines cools et un jeu de dames, du bon café. D’année en année, ce petit truc de jeunes qui faisait tache dans le paysage de Bäkerei popus s’est agrandi. Le patron, beau gosse de trente ans, a étendu ses pénates en rénovant une grande salle à côté de son café, en élargissant sa terrasse et sa carte. Les fameux jus détox côtoient le latte macchiato de bon aloi, les sandwiches sont faits avec de la bresaola d’un petit producteur italien, etc.

Et donc là, attendant mon latte au lait de soja (je suis une atroce bobo, pardon), importunée par les six personnes devant moi quand, il y a deux ans, il n’y avait pas un chat dans ce coin reculé de Neukölln, je repère les fameux croissants. Ils ont la croûte dorée, rebondie, comme une croupe de nymphe alanguie au soleil. Le croissant dégueu, celui qu’on vend dans les boulangeries berlinoises, a la gueule en papier mâché d’une vieille lune pâle et bouffie. Ceux-là, mesdames et messieurs, étaient de « véritables croissants Lenôtre ». Je vous le jure sur la tête de mon poney.

L’étiquette plantée dans les croissants, écrite à la main avec cet inénarrable style « graphiste à heures perdues » que l’on voit partout, disait : Véritables croissants Lenôtre.

Et les gens, dans leurs parkas dodues fourrées de plumes de goéland, sous leurs bonnets mille fils en laine de lama écossais, avec leurs tablettes du futur intersidéral et leurs baskets à semelles écolo-friendly, s’arrachaient les véritables croissants Lenôtre. J’en ai acheté un et je l’ai bouffé. Il était bon, évidemment. Mais que fout ce croissant Lenôtre dans MON quartier?

En bas de chez moi, Frau Berger et son bric-à-brac ont plié bagages après dix ans de bons et loyaux services à notre quartier. On l’a virée à coups de casque à pointe au cul. L’autre brocanteur, avec ses mégots de clodo et son amour des vieux bouquins, a été sommé de dégager aussi. Cela fait deux énormes espaces vides en bas de chez moi. Des trous béants que l’on va boucher avec des cafés de hipster, ou, pire, une banque.

Ah oui, je vois déjà débarquer la cavalerie : certains vont me dire qu’en bonne Française, je suis richissime et que c’est moi qui ai généré cet embourgeoisement de mon quartier, en m’installant là avec la hipster attitude chevillée au corps comme la syphilis. Pourtant, nous savons tous que le débat n’est pas là. Si les jeunes artistes avaient un quelconque pouvoir sur l’urbanisme, la société et les enjeux de la ville, ça se saurait.

Pour l’instant, on me paie encore des clopinettes pour vendre mes articles et mon travail de scénariste ; pour l’instant, je me fais traîner tous les six mois devant le tribunal par mon propriétaire-spéculateur-croquemort de Hambourg, qui voudrait bien me faire dégager pour vendre l’appartement (où j’ai passé cinq ans de ma vie) à un riche Saoudien ou une riche Luxembourgeoise. Qu’on ne vienne pas me faire croire que mon goût pour le bon café, ou pour les jolies chaussures a une quelconque incidence sur l’envie irrépressible des spéculateurs de racheter des immeubles décrépis, pour en virer des familles turques entières. Bon.

Ce qui me tue, ce n’est pas tant que le gentil beau gosse du café rose vende des croissants Lenôtre. Il a bien raison d’aimer les bons croissants. Ce qui me tue, c’est de ne pas reconnaître mon quartier et de le voir s’aseptiser. C’était un quartier résistant, un mélange d’artistes, de vieux loups de comptoir, d’artisans. Les enfants des Turcs jouaient avec les têtes blondes sur la place, tous les jours d’été. Maintenant, il y a une terrasse moche à la place des mômes.

Si la gentrification est inévitable, pourrait-elle au moins se faire sans ratiboiser tout ce qui fait la beauté et l’essence des quartiers? Je ne pense pas : regardez Prenzlauer Berg, regardez Mitte! Je crois que, malheureusement, ce croissant nous déclare la guerre.

Je ne suis pas certaine de vouloir vivre entourée de cette bienveillance bobo, de ne plus voir que des gens de trente-cinq ans qui travaillent dans une start-up, de ne plus pouvoir taper la discut’ avec le mec qui a le théâtre de marionnettes, parce qu’il ne pourra plus payer le loyer et qu’il aura déménagé. De ne plus pouvoir acheter mon croissant (industriel, pâlot, pas très bon) à la gentille petite vieille turque, qui hoche toujours la tête en souriant comme un bouddha sous son foulard.

Si je ne veux pas, dans trois ans, arpenter les rues de mon quartier avec une poussette interstellaire et une écharpe en laine de baleine biologique, il va peut-être falloir que je déménage. 


Indignons-nous pour le camarade Charlie

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Mon grand-père, le Général Jacques Bourdis

Après l’attentat contre Charlie Hebdo, chacun semble s’interroger sur son propre courage. J’ai imaginé les mots que mon Grand-Père, Compagnon de la Libération, aurait dits à ce sujet…

Ce matin, quand les hommes cagoulés ont tiré sur la réunion hebdomadaire de Charlie Hebdo, j’étais en train de prendre un café Place Saint-Michel avec un bibliophile, à qui j’achetais deux livres rares que je cherchais depuis longtemps. J’étais heureuse ce matin-là. J’avais eu de bonnes nouvelles au travail. J’allais déjeuner de ce pas avec ma mère adorée.

Voilà ce que je faisais pendant que Cabu, Charb, Wolinski, Tignous et les autres mouraient le crayon à la main. Le verbe haut et le poing levé en esprit. Peut-être même vraiment levé, qui sait. J’aime à le croire. Ils étaient des héros aimés depuis bien longtemps des Français et sont désormais de nouveaux martyrs de la République.

Depuis, les réseaux sociaux se sont enflammés et beaucoup semblent s’interroger sur leur propre capacité à se rebeller contre les tentatives d’intimidation terroristes. Sur Facebook, il y a ceux qui vont au rassemblement de ce soir et ceux qui n’y vont pas, par peur d’un attentat en série. Un de mes amis, l’auteur et metteur en scène belge Philippe Beheydt, y a publié ce texte magnifique :

Moi, je ne suis pas Charlie.

Je n’ai jamais eu et je n’aurai sans doute jamais le courage qu’avaient ces hommes et ces femmes qui continuaient leurs combats malgré les dangers avec lesquels ils vivaient chaque jour.

De vrais dangers. Des dangers de morts. Pas les mêmes petits dangers de ma petite vie à moi qui me font flipper et trembler comme une feuille.

Je n’aurai jamais le courage de ceux qui vont continuer après ces actes horribles à utiliser leur crayons pour décrire le monde, s’en moquer au péril de leur vie.

Je n’aurai jamais le courage de tous ces journalistes, photographes, qui, au péril de leur existence, font leur œuvre à ce point importante et vitale.

Je ne suis pas Charlie et je n’aurai pas la prétention d’imaginer une seule seconde que je puisse l’être.

Je me sentirais bien mal de me joindre à eux en disant je suis vous.

Ma façon à moi de rendre hommage à tous ceux qui sont morts, ceux qui ont soufferts, est de leur dire :

Vous êtes Charlie.
Je ne suis que spectateur.
Mais peut-être un jour j’aurai le courage de mes convictions. Ce jour là, peut-être, je pourrai murmurer bien humblement « Je suis Charlie »

Mon grand-père maternel était, comme ces courageux journalistes, un héros. Il avait rejoint le Général de Gaulle à dix-neuf ans. Pour lui, accepter l’occupation nazie était inimaginable. Il ne pouvait s’accommoder ni de l’Occupation, de Vichy. Il lui fallait une liberté entière. Mon grand-père est devenu Compagnon de la Libération. Avec beaucoup d’autres, il a libéré la France en 1945.

Ce n’était pas un homme de compromis. Il avait refusé la carrière ministérielle qu’on lui proposait – il savait que le politique tacherait son âme. C’était un homme d’idéaux capable, à peine majeur, de prendre un bateau clandestin pour l’Angleterre afin de sauver les idéaux de la République. Après la guerre, il est devenu un diplomate respecté, œuvrant notamment pour la réconciliation franco-allemande. Souvent, lorsque je me retrouve face à une situation terrifiante, je me demande ce qu’il aurait dit ou fait.

Alors, que me conseillerait-il aujourd’hui? Je ne peux pas parler pour lui, mais d’aussi loin que je me souvienne, je ne l’ai jamais entendu réagir de manière conservatrice. Aussi, je pense qu’il me dirait, avec les mots de son ami Stéphane Hessel,

Indignez-vous!

Ce sont bien les idéaux de la France que nous défendons ici et ce ne sont pas des idéaux de haine, de stigmatisation raciale ou religieuse. Ce sont les valeurs de la République, celles que nous avons su faire grandir. Ce sont aussi les valeurs de toute l’Europe moderne. La liberté d’expression, de choix religieux, l’égalité entre les hommes et les femmes, l’égalité entre toutes les couleurs de peau. Rien de moins que cela.

Je crois que mon grand-père me dirait aussi que les Islamistes fanatiques (ou les fascistes d’extrême-droite, que sais-je encore…) ne sont pas plus dangereux que les Nazis l’étaient. Sommes-nous d’ailleurs bien certains que les Islamistes sont derrière cet attentat? Je crois aussi qu’il ajouterait qu’un Islamiste n’est pas un Arabe ni un Musulman. Tout comme un Nazi n’est pas un Allemand.

Je suis abattue de tristesse aujourd’hui comme vous tous, mais j’écoute les mots rêvés de l’Ancêtre et je lui demande conseil en cette nuit qui tombe sur Paris endeuillée. Ne cédons ni à la peur ni à la haine. Soyons dignes et droits comme nos Anciens. Soyons les Camarades de Charlie puisqu’il est bien difficile, comme le dit Philippe Beheydt, d’être Charlie nous-mêmes.


Ce « chez-moi » que j’appelle Berlin

IMG_2309 Chez moi. Photo Manuela Morales Delano

En arrivant à la gare, Berlin m’a sauté au cou : te revoilà ! Elle m’embrassait comme une grand-mère lourde, indigne et tendre. Ma vieille tatouée, toute couverte des rides de l’Histoire, avançait sa poitrine vaste et douce – ici la coupole du Reichstag, là le Berliner Dom – pour y serrer mon coeur. Je me laissais bercer en aspirant l’air glacial par mes petits poumons contrits d’air parisien.

Enfin rentrée, pour quelques jours seulement. Cela faisait six mois que j’étais à Paris pour de multiples raisons, certaines plus tristes qu’heureuses.

Mon appartement, à Neukölln. J’ai posé mes valises dans le couloir. J’avais peur de ne pas reconnaître mes murs, l’odeur de ma cuisine, la patience de mes livres sur les rayons de la bibliothèque, attendant d’être lus par leur propriétaire depuis si longtemps.

Je me suis retournée vers mon amant, qui, de toute sa hauteur, me souriait largement dans sa barbe

It’s a fantastic place, dit-il dans sa langue, un appartement fantastique.

Puis j’ai fait trois pas dans le salon, large et blanc. La lampe que j’avais chinée en 2010 au marché aux puces de Wedding balançait sa tête seventies, placide, au-dessus du vieux canapé racheté à des copains français. La table de massage qui me sert de bureau était un peu poussiéreuse mais semblait attendre que je vienne passer une main tendre sur son capitonnage. Les deux fauteuils trouvés à la brocante de Frau Berger, en bas de chez moi, me tendaient leurs accoudoirs : viens t’assoir ! Sur moi! Non, non, sur moi !

J’ouvrai la porte de ma chambre. Il faisait noir. La boule chinoise s’alluma doucement, comme d’elle-même, lentement, très lentement. Le lit surgit dans la nuit, éclatant de clarté, dans l’écrin de l’immense tapis persan qui recouvre le parquet blanc. Je m’y assis, mais je ne pus rester longtemps dans cette position, car la couette m’appelait ; je la saisis entre mes deux mains, je pris contre moi cette douce et informe chose de mes nuits. Je m’allongeai à demi, les pieds encore sur le tapis et les jambes pendant depuis la hauteur du lit. Mon amant vint alors m’enlever mes chaussures et s’allonger derrière moi.

Et alors que je posais ma tête contre son torse, nous vîmes un premier feu d’artifice éclater dans le ciel, par la large fenêtre qui fait face à mon lit.  C’était le 31 décembre, la Saint-Sylvestre.

J’étais chez moi. Moi qui avais cru que j’avais perdu mes racines le jour où mes parents ont vendu notre maison d’enfance, je ne m’étais pas rendu compte de ce que j’avais planté en m’installant à Berlin. Les graines d’une vie neuve. Berlin, chez moi. Alors, je me retournais vers mon amant et lui dis que s’il le souhaitait, ce chez-moi pourrait devenir chez lui.

Cette histoire est une fiction. Je l’ai rêvée entre chien et loup, ce matin. Je sais que c’est ainsi que les choses se passeront demain soir, quand je sortirai de la gare de Berlin Hauptbahnhof et que je rentrerai à la maison, à Neukölln.

Une belle et merveilleuse nouvelle année à tous mes lecteurs bien-aimés. Et bienvenue aux nouveaux Berlinois !


Soli-Noël (ou une histoire d’indifférence dans le métro parisien)

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A Berlin, depuis plusieurs années, c’est la mode (bienheureuse) du « Soli » : Solicafé, Solidemo, Soliparty. Ce sont des manifestations de solidarité envers les sans-papiers, les sans-abris, les sans-culottes. Mais à Paris, en ce moment, règne l’indifférence la plus totale à l’égard du plus petit que soi, et Noël se déroule dans une frénésie de consommation qui défie toute logique en ces temps de crise perpétuelle. En témoigne cette histoire affreuse qui m’est arrivée dans le métro il y a deux jours

Je sortais du théâtre, à la station Gambetta à Paris, je voulais courir chez moi pour écrire, parce que je venais d’avoir une idée qui n’attendait pas et je me précipitai donc, comme une vraie Parisienne toujours pressée, dans les couloirs de la ligne 3.

Je m’aperçus soudain que la foule contournait un objet au milieu du quai. Dans les hurlements de sirène du train et les bruits de pas excités des voyageurs, je ne compris pas tout de suite quelle était cette forme qui barrait la route. En m’approchant (je courais, bien sûr) je reconnus un vieil homme à moitié allongé sur le sol, un grand sac plastique de supermarché près de lui. Les voyageurs l’évitaient en formant deux colonnes qui se jetaient en se bousculant dans les wagons.

J’allais en faire autant, lorsque l’idée subite me prit de me retourner pour contempler celui que tout le monde prenait pour un clochard tombé par ivrognerie. L’homme, vêtu d’une parka propre et d’un bonnet, tentait péniblement de se relever en s’appuyant sur ses coudes. Son visage était crispé de douleur. Le train allait partir, mais le spectacle était proprement insoutenable et je fis volte-face pour tendre la main au vieil homme. Il leva des yeux clairs sur moi :

Non non, vous allez rater votre train! 

Sur le quai, les voyageurs lançaient des regards furtifs dans notre direction. J’attrapai l’homme sous le bras malgré ses protestations. Il était trapu comme un petit taureau, un homme encore fort, mais apparemment incapable de se relever. Il souffrait en tentant de pousser sur ses jambes. Je réunissais toutes mes forces mais il était trop lourd pour moi seule.

Une femme d’une soixantaine d’années et sa fille s’approchèrent et le prirent sous l’autre bras. A nous trois, nous essayons de le relever. Autour de nous, des hommes s’étaient arrêtés et nous observaient avec des yeux de merlan frit.

Vous pourriez nous aider peut-être, les hommes, non ? s’écria la dame. 

Aussitôt, l’un des types intervint maladroitement en tentant de l’attraper par la taille. Tant bien que mal, le vieil homme se retrouva finalement sur ses jambes. Je l’emmenai vers les sièges du quai. Je le tenais sous le bras pour le porter un peu. Il saisit ma main et la serra avec une force étonnante. Une poigne de charpentier, une main large, épaisse et musclée.

Nous nous assîmes ensemble. Je tentai de comprendre où il avait mal. Il m’expliqua que c’était ses lombaires. Je voulais l’accompagner jusqu’à sa destination finale, mais il s’y refusa. Je lui demandai s’il avait mangé quelque chose aujourd’hui ; il secoua la tête mais refusa toutes mes offres d’argent et de nourriture.

Je ne cherche pas l’aumône, disait-il doucement. Il semblait tout étourdi. 

Je le menai dans le wagon lorsque le train arriva. Les gens s’écartèrent en nous voyant. Tous les regards étaient braqués sur nous. Deux jeunes Blacks cools poussèrent des cris de dégoût : ah mais putain qu’est-ce qu’il se passe, là? Je demandai à l’un d’eux de se lever pour permettre au vieil homme de s’assoir. Le jeune mec se leva en grommelant.

Le vieillard n’était pas ivre, il était malade. Il parlait avec cohérence mais épuisement. Il me dit qu’il était ancien militaire.

Huit ans de carrière dans l’armée et tout le monde se fout de nous. On nous laisse tomber. 

J’avais le coeur serré, je voulais connaître sa destination finale, mais il faisait semblant de ne plus s’en souvenir. Il m’assura qu’il savait où il allait. Je crois qu’il craignait que je ne découvre qu’il n’avait pas de logement, ou qu’il allait à la soupe populaire. Je devais changer de station, je le forçai à prendre un peu d’argent et sortis en lui serrant la main très fort. Il me remercia et juste avant que la porte ne se referme, il me dit qu’il n’en pouvait plus.

Ces derniers mots me laissèrent éberluée et bouleversée sur le quai. Je m’engageais dans le couloir qui menait vers la ligne 2 lorsqu’une femme d’environ quarante ans m’arrêta :

Il sort de l’hôpital Tenon ce monsieur, j’ai vu son bracelet! Moi, on m’a fait une ponction lombaire là-bas et on m’a fait sortir le jour même, j’ai fait un accident cardio-vasculaire juste après! C’est un hôpital qui se fout de ses patients! 

Je n’avais pas le temps de lui reprocher de ne pas me l’avoir dit plus tôt : je courais comme une dératée vers l’hôpital Tenon.

Arrivée à l’accueil, j’expliquai la situation aux agents. Je leur demandai de retrouver le nom de ce patient qu’ils avaient laissé sortir.

Ben on peut rien faire, Madame, rétorqua un jeune ahuri à lunettes. C’était à vous de nous l’amener.

Mais puisque je vous dis que je ne savais pas qu’il sortait de votre hôpital! Vous savez bien qui est admis ici et qui en sort, non? 

Non, répliqua l’idiot. Il a dû s’enfuir de toute façon.

Vous vous foutez de moi? criai-je, emportée par l’émotion. Cet homme peut à peine marcher! Un enfant de trois ans pourrait l’arrêter!

Les autres agents, une jeune femme et un jeune homme noir, regardaient par terre.

Bon, je vais appeler la police, dit le jeune homme noir, l’air très embarrassé.

Ils ne pourront rien faire, dit le jeune à lunettes. C’était à Madame de prendre ses responsabilités.

C’est MA responsabilité? vociférais-je.

Ouais, c’est votre responsabilité civile! hurla l’imbécile alors que je tournais les talons, furieuse.

Dans la rue,  je marchais échevelée et le coeur retourné. Ce n’était pas ma responsabilité civile, certes, mais j’aurais dû rester avec le vieil homme. J’aurais dû lui donner plus d’argent. J’aurais dû insister pour l’accompagner. Je n’aurais pas dû le laisser seul et démuni face à la foule qui le prenait pour un clochard et s’écartait de lui avec répugnance. 

Autour de moi, sur la place Gambetta, un sapin de Noël clignotait comme un con, déraciné de sa forêt pour le plaisir des yeux des sots, des méchants et de nous tous, qui nous affairons à acheter nos vains cadeaux à déballer sous un autre arbre promis à la benne aux ordures. Les guirlandes décoraient les rues, c’est la magie de Noël, la magie du capitalisme et de l’indifférence sociale, la magie du coeur qui se vide de sa substance pour n’être plus qu’un réceptacle à émotions pré-mâchées : on pleure devant un film de Disney, mais on n’est plus capable de s’émouvoir pour un vieil homme tombé dans le métro. 


Conseils pour trouver un logement à Berlin

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Chaque matin, quand j’ouvre ma boîte mail, c’est la même chose : un lecteur désespéré me demande de l’aider pour trouver un appartement, une colocation ou une chambre douillette. Depuis cinq ans, les loyers grimpent à Berlin et la situation ne s’arrange pas. Le paradis immobilier a dégringolé sur Terre, mais pas de panique : c’est toujours possible de se loger à Berlin et surtout, c’est toujours moins cher qu’à Paris… Petits conseils pour une recherche réussie.

1. Sachez quels sites consulter et faites jouer les réseaux sociaux

Le site wg-gesucht.de (disponible aussi en anglais) est devenu la référence absolue pour les colocations. Mais Facebook offre de grandes chances de trouver rapidement un logement grâce aux groupes consacrés à la recherche d’appart ou de coloc : voir Housing BERLINHousing Berlin/ Wohnen in BerlinWG-Zimmer & Wohnungen Berlin.

2. Misez à fond sur le bouche-à-oreille

Rien ne vaut les bons plans des copains, des collègues de travail et des amis d’amis d’amis qui connaissent quelqu’un qui… Parlez à tout le monde de votre recherche d’appartement, dans les soirées, à la Mensa, au comptoir du bistro du coin, à 6h du mat’ au Berghain, peu importe. Il faut que ça leur rentre dans le crâne! C’est comme ça que j’ai trouvé les trois logements que j’ai eus à Berlin.

3. Soyez un candidat nickel chrome

Combien de fois, lorsque je cherchais un colocataire, n’ai-je pas eu de cuisantes déconvenues? Honte à tous ces faux sans-abris qui prétendent être désespérés et se jettent sur votre annonce, pour vous poser un lapin une heure plus tard parce qu’ils ont trouvé quelque chose qui leur convenait mieux. J’ai même eu des messages du genre « euh c’était laquelle ton annonce déjà? » alors que le type hurlait à l’aide, disant se faire virer à coups de pied au cul dans le froid hivernal par ses colocataires.  Bref : soyez hyper réglo. Présentez-vous à l’heure, prévoyez le temps qu’il faut si vous perdez votre chemin, prévenez si vous ne venez pas. Le bouche-à-oreille marche dans les deux sens : ne vous faites pas une réputation de troufion.

4. Fuyez les scams

Certaines annonces alléchantes se baladent sur quelques sites, en particulier sur Craigslist. Attention! Ne donnez jamais vos coordonnées bancaires et n’envoyez JAMAIS d’argent sans avoir rencontré le propriétaire ou le colocataire. Exigez une visite si vous le pouvez, du moins une photocopie de la pièce d’identité de votre interlocuteur avant de verser un loyer quelconque.

5. Sous-location : une solution pratique, mais avec vigilance

Les sous-locations peuvent être pratiques, surtout si vous connaissez la personne qui vous sous-loue son appartement ou sa chambre. Mais dans tous les cas, renseignez-vous : les loyers ont-ils bien été payés jusque-là?  Exigez des attestations de paiement. Certains locataires peu scrupuleux empochent l’argent de leurs victimes et ne versent pas le loyer au propriétaire. Complications juridiques assurées : vous êtes censés connaître la loi. Si le propriétaire n’était pas d’accord pour que son locataire sous-loue, vous risquez une amende importante.

6. Soyez présent physiquement pour rechercher votre appart 

Mieux vaut prendre quelques jours à l’auberge de jeunesse ou en couchsurfing pour chercher votre appart et vous présenter physiquement à vos colocataires/propriétaires potentiels. Cela augmentera de beaucoup vos chances de remporter le jackpot! L’absence inspire la méfiance… et vous rend potentiellement susceptible de succomber à un scam.

7. Arrêtez de demander de l’aide aux blogueurs :) et apprenez plutôt l’allemand!

Nous ne pouvons pas grand-chose pour vous… à part compatir! Nous aussi, nous avons ramé… jetez-vous à l’eau et surtout, apprenez l’allemand, cela triplera vos chances, surtout si vous recherchez un bail stable. Rares sont les agents immobiliers et les employés de syndic qui parlent un anglais du feu de Dieu.

Courage et bonne chance, vous allez y arriver!


Les clefs du bureau de Schöneberg

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Genthiner Strasse, la rue triste et moche où j’ai été heureuse pendant deux ans

Il y a un an, j’ai quitté mon boulot alimentaire pour faire mes films et écrire à plein temps. J’ai dû rendre les clefs de mon bureau de Schöneberg il y a deux jours. Et je n’aurais jamais cru que j’aurais pu en pleurer…

Ces deux petites clefs toutes simples ouvraient la grille, puis la porte du bâtiment des bureaux des musées nationaux de Berlin, où j’ai travaillé à temps partiel pendant deux ans.

Ce job avait sauvé ma vie de Berlinoise. Il y a trois ans, en effet, j’étais au chômage et fauchée au point d’hésiter lorsqu’un copain me proposa de fouetter et d’insulter son patron masochiste pour 400 euros de l’heure. Il me fallait un job qui me permettrait de continuer à écrire et à apprendre le cinéma. J’avais quitté la douceur de l’intermittence française deux ans auparavant. Les jobs qu’on me proposait à Berlin étaient sous-payés : minijob, boulot de serveuse à 5 euros de l’heure, tafs sans sécurité sociale. J’étais à deux doigts de demander Hartz IV, l’équivalent du RSA. Bref, je me demandais si je n’allais pas rentrer en France.

Lorsqu’un jour, une amie me proposa d’intégrer son équipe au sein du Service Visiteurs des musées nationaux de Berlin ; soit un job flexible, polyglotte, intelligent, correctement payé, assuré socialement. Un vrai miracle. Je passai les tests et les entretiens avec succès. L’équipe était composée d’artistes et d’historiens de l’art qui trouvaient là une manière de payer leur loyer sans sacrifier leur métier de passion.

Lundi, quand je suis allée rendre les clefs de mon petit bureau de Schöneberg, je me suis retrouvée au Kulturforum, près de Potsdamer Platz. J’avais rendez-vous avec un petit monsieur gentil et rondouillard, qui me demanda pourquoi j’avais gardé les clefs si longtemps après être partie. J’ai ri et je lui ai remis les clefs de mes deux années de travail dans les mains. C’est vrai, ça. Pourquoi les avais-je gardées si longtemps, ces clefs?

Je suis sortie de son bureau. Devant moi s’étalait le décor magnifique des musées pour lesquels j’avais œuvré dans l’ombre et avec beaucoup de joie : La Gemäldegalerie et ses peintures Renaissance, la Neue Nationalgalerie qui abrite Otto Dix, l’un de mes favoris, le Kupferstichkabinett. Maintenant, il me faudra acheter un billet pour aller voir Botticcelli à la Gemäldegalerie, me dis-je, en enfonçant mes mains dans mes poches pour les protéger du froid.

Et puis là, sur le pavé, je me mis à pleurer sans crier gare. Je pleurais les tasses de café qu’on prenait ensemble derrière nos ordinateurs avec nos fonds d’écran à alternance plage/forêt/désert/plage, je pleurais les déjeuners dans la cantine rase et grise du magasin Möbel Hübner, en face de nos bureaux ; je pleurais les petits doigts des collègues qui tapotent sur le clavier à côté de moi, nos maux de dos à force d’être assis et les questions débiles des visiteurs des musées : « Bonjour, je voudrais voir le buste de Néfertiti, la reine des Romains… c’est bien au Musée de Pergame? »

Incroyable que le souvenir d’un mug sale qui traîne près d’une chaise à roulettes au dossier brinquebalant puisse me faire sangloter.

Peut-être parce que sur cette chaise se sont assis à tour de rôle Ronny, Vera, Lena, Claudia, Christine, Lucas, Timo, Karl et Sybille. Sur ce vieux mug « Moin Moin!* » se sont posées les lèvres de Maidje, de Sabrina et de Thorsten. Et les miennes.

Putain, vous me manquez, les collègues du bureau tout gris de la Genthiner Strasse.

C’est chouette d’être artiste à temps plein, mais j’ai envie d’être avec vous, au moment où j’écris ces lignes que vous ne lirez pas, parce que vous ne parlez pas français et que je vous ai toujours un peu caché ce blog. On ne parle pas de ses collègues de bureau quand on est filmmaker et auteur, on ne raconte pas les rumeurs de couloir (« paraît que Ronny s’est engueulé avec le boss au dîner de Noël ») ni les tasses sales que personne ne veut jamais laver et le café qu’on fait à tour de rôle, ni la liste des perles des visiteurs scotchée à la porte du bureau. Pourtant c’est ça le quotidien, la vie.

Merci pour ces deux belles années. J’aurais dû parler de vous plus tôt, les collègues. Je vous porte un toast avec ma tasse de café bien propre sur mon bureau bien propre d’artiste bobo, en regrettant un peu le calendrier de l’Avent à chocolats que personne ne m’enverra, cette année… parce que je n’ai plus de patron. Ich liebe euch!

* Moin Moin! : »Bijour Bijour! », en gros.


De l’autre côté du Mur

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Le Mémorial soviétique de Treptow, à Berlin

Sorti le 5 novembre en France, le film « De l’autre côté du Mur » de Christian Schwochow raconte l’histoire d’une femme qui fuit la RDA dans les années 70 et se retrouve à Berlin-Ouest dans un camp de réfugiés. L’occasion de revenir dans ce blog sur quelques lieux de mémoire de l’Histoire liée au Mur de Berlin, au-delà de Checkpoint Charlie et de l’East Side Gallery.

J’étais évidemment très curieuse d’aller découvrir ce film, dont les affiches immenses sont placardés partout sur les murs du métro parisien. Tout d’abord parce que l’action se déroule à Berlin, ensuite parce que j’ai une passion un peu fétichiste pour cette tranche de l’histoire allemande (en 2009, j’ai d’ailleurs écrit une pièce de théâtre, Novembre, déjà, qui raconte la vie de deux soeurs juste avant la chute du Mur).

Le film de Christian Schwochow n’est pas un chef-d’oeuvre à mes yeux, mais il est très bien interprété par Jördis Triebel qui incarne l’héroïne courageuse et séduisante de cette histoire au coeur de la  » guerre froide « . Je me suis demandé comment le réalisateur allait pouvoir reconstituer le Berlin d’avant la chute du Mur sans difficulté – on sait que cela a été l’un des grands problèmes rencontrés par Florian Henckel von Donnersmarck pour le célèbre (et somptueux) La vie des autres.

Or, le film se déroule presque exclusivement dans le camp des réfugiés de l’Est situé à Berlin-Ouest, ce qui permet de limiter les décors casse-gueule. Mais Berlin regorge de lieux extraordinaires qui rappellent la déchirure subite par le peuple allemand entre 1962 et 1989.

La prison de Hohenschönhausen

Prison politique de la Stasi, la prison de Hohenschönhausen laisse un souvenir inoubliable à ses visiteurs (lire ici l’article que je lui ai consacré… c’était le premier article de ce blog). Car ce sont d’anciens détenus qui vont la feront visiter, vous expliquant par le menu les tortures psychologiques et les mécanismes d’isolement mis en place par la police politique à l’encontre de ses victimes. Les prisonniers ne savaient pas où ils se trouvaient, le voyage se faisant en camionnette déguisée en van de marchand de légumes, les yeux bandés. Les habitants du quartier ne savaient d’ailleurs pas non plus que ces bâtiments sinistres abritaient une prison.

Gedenkstätte Berlin-HohenschönhausenGenslerstr. 66, 13055 Berlin
Téléphone : 0049 – 30 – 98 60 82 – 30 – prix du billet 5 euros

Mémorial de la Bernauer Strasse

Les touristes se précipitent (à raison) sur l’East Side Gallery, mais le mémorial de la Bernauer Strasse offre une vision bien plus réaliste de ce qu’était le Mur de Berlin. En grimpant dans une tour située côté Ouest, vous pourrez admirer un pan de Mur impeccablement reconstitué : côté Est, le Mur de Berlin était en réalité doublé d’un second mur destiné à empêcher les fuyards d’approcher la frontière. Entre les deux murs, un champ de mines et une ligne de tir pour mitraillettes automatiques, le tout gardé par les Vopos et leurs bergers allemands : la Todestreife, la zone de la mort. Charmant.

Mémorial de la Bernauer Strasse, Bernauer Straße 119, 13355 Berlin – entrée gratuite

Le musée de la Stasi

Un régal (sinistre) pour tous les amateurs de thrillers et de films d’espionnage. John le Carré et James Bond ont tout à envier à ce musée qui croule sous les inventions délirantes des membres de la police politique est-allemande pour contrôler leur population. Les appareils photo dissimulés dans des talons aiguilles et les relevés d’odeurs corporelles coincés sous les chaises d’interrogatoire font à la fois sourire et froid dans le dos. Vous pourrez même visiter le bureau d’Erich Mielke, le chef de la Stasi, et vous assurer que le Big Boss avait des goûts modestes en accord avec les principes communistes.

Stasi-Museum Berlin, Ruschestraße 103, Haus 1, 10365 Berlin – entrée 5 euros

Le mémorial soviétique de Treptow

Quand quelqu’un vient me voir à Berlin, je lui fais toujours visiter ce lieu impressionnant, assez peu touristique, qui évoque carrément un film de science-fiction. Mémorial dédié à la mémoire des soldats de Staline, au coeur de la forêt du Treptower Park, c’est aussi un important cimetière militaire. Le mémorial est encore un espace de recueillement pour d’anciens Ossies (habitants de l’Est) – même si vous ne partagez pas leurs convictions, tâchez de vous conduire avec respect sur les lieux (pas d’after improvisée le dimanche matin, please…)

Puschkinallee, 12435 Berlin – entrée gratuite

Et vous, où vous rendez-vous à Berlin pour imaginer la RDA (République démocratique allemande) d’autrefois? 


Hype parisienne vs. hype berlinoise

unnamedHipster parisien en migration annuelle à Berlin (titre bidon donné à un dessin licence CC)

Voilà deux mois que je suis à Paris pour le boulot et que j’ai l’occasion d’observer la hype parisienne dans toute sa splendeur. La comparaison est inévitable : si les hipsters énervent tout le monde où qu’ils soient, au moins, la hype berlinoise ne vous donne pas envie de déménager à l’étranger. Le warum du comment en cinq points

1. Le vocabulaire

« Un bar ambiancé qui slame » – traduction, un bar à l’atmosphère particulière vraiment formidable. Achtung, j’ai mal aux oreilles. A Berlin, on dit « ein geiler Club », un club qui fait jouir. C’est vulgaire, c’est laid et un tantinet partouzeur, mais ça sonne mieux. Quant à l’expression « Je vais lui faire un petit Mohammed » pour dire « je vais le/la sauter », j’en ai des frissons d’horreur. Relents de racisme hype.

2. Les barbes (et ce qu’il y a autour de la barbe)

Les jeunes cools du dixième arrondissement ne sortiraient plus sans leur longue barbe, surmontée d’un chignon d’ « urban samurai », comme dit la publicité hipster de la marque Mac. Ces pileuses déclarations de virilité masquent en réalité une subordination à l’esprit de consommation courante. Car en lieu et place de samouraïs, nous avons bien affaire à de jeunes hommes modernes sans la moindre orientation politique et sans beaucoup d’idées sur le monde dans lequel ils vivent. Le hipster consomme, il ne pense pas. Il se coiffe comme tout le monde parce qu’il a peur d’être rejeté par Paris. Parce que Paris est méchante avec ses enfants.

A Berlin, certes, on croise des coiffures tartignoles – mais personne ne vous en veut d’avoir les cheveux jusqu’aux fesses couleur arc-en-ciel quand vous vous appelez Helmut et que vous êtes né en 1955. La différence, à Berlin, c’est justement qu’il est permis d’être différent. La barbe, quoi!*

3. L’arrogance

Le serveur parisien qui vous égrène l’ardoise du jour en regardant par la fenêtre, l’air de vous trouver con et mal habillé. Les videurs qui vous repoussent d’un petit geste de la main. Les branchés de la com’ qui vous demandent si vous arrivez à gagner votre vie en tant qu’ « artiste »… A Paris, l’arrogance est hype, tellement hype! A Berlin, si on fait la gueule, c’est parce qu’on est prussien. Mais on vous regarde droit dans les yeux et si on vous jette du club, c’est parce que vous avez vomi exprès sur la barmaid.

4. Les burgers

Restos de burgers, je vous hais. Avec vos devantures écrites à la fausse craie sur de la peinture ardoise, vos faux dessins cool et échevelés faits à la palette graphique, vos viandes bios du Poitou, vos frites maison et vos additions à 30 euros, vous êtes partout dans Paname. A Berlin, on mange des döners pour 3 euros. Les deux font grossir, que je sache. Depuis quand le burger est-il un mets si sublime qu’il puisse détrôner le confit de canard, hein?

5. Les clubs

Après des années de hype, les clubs berlinois restent les plus fun, ont la meilleure musique, les gens les plus sympatoches, les idées les plus farfelues. Le fameux renouveau de la nuit parisienne est encore réservé aux riches, et l’aspect faussement trash des soirées de Paname est parfumé à la javel. Le hispter berlinois, si mal coiffé soit-il, n’a pas peur de retrousser bobonne dans les gogues immondes d’une boîte en bordure de Ring. Le clubbing parisien a encore tout à apprendre des nuits d’outre-Rhin, de leur folie, de leur liberté, de leur noirceur.

Qu’on ne me fasse pas croire que le Silencio, par exemple, est un lieu où l’on se commet. On n’y met en péril que son compte en banque, sûrement pas ses préjugés, ses idéaux ou sa vision du monde. Prise de risque zéro, degré d’aventure zéro, rencontres tristes qui tournent autour du name-dropping et de l’élévation sociale : les nuits parisiennes sont plus belles en solitaire le lundi sous la pluie.

En conclusion…

Quel mal y a-t-il à être branché, à aimer le burger frais et la barbe touffue, me direz-vous? Rien, vous répondrais-je, moi qui adore ma robe éthique cousue par une handicapée estonienne en vrai coton de coquelicot, qui rêve de masser un boeuf à la bière Tsing-Tao et qui vit avec un homme des cavernes. Le problème, c’est la prétention, le léger mépris des autres et l’absence de réflexion sur ce qui est à la mode et ce que l’on consomme.

Aussi la hype berlinoise me semble-t-elle moins imbitable que la Parisienne. Mais je ne demande qu’à ce qu’on me prouve le contraire…

*L’auteur demande pardon pour la bassesse de cette plaisanterie