La façade du restaurant Wilhelm Hoeck 1892 à Charlottenburg, Berlin
A la suite d’un jeu idiot lancé sur la page Facebook de Génération Berlin (qui n’a pas encore liké ? allez, zou) un de mes chers lecteurs, Axel, a gagné le droit de choisir le thème du prochain billet. En l’occurrence, ce jeune homme a choisi un sujet qui nous tient tous à coeur, à nous les Français : la bouffe. Et c’est ainsi que je vais vous raconter comment j’ai découvert que le quartier de Charlottenburg, si décrié par les branchés, était le royaume de la gastronomie berlinoise… donc super hype
Ce matin, j’avais rendez-vous chez la gynéco (ben quoi?!) aux aurores – à huit heures du matin. Or, ma gynéco a ses pénates dans Charlottenburg, vers la Bismarckstrasse, un coin que j’ai toujours trouvé ennuyeux à crever. Après mon rendez-vous médical, j’erre, échevelée sous mon bonnet, dans les rues de Charlottenburg, à la recherche d’un café pour boire mon traditionnel latte machiatto sans lactose, une boisson que j’affectionne honteusement – car je ne saurai nommer de boisson plus horriblement hipster.
En lieu et place de cafés à wifi et muffins bios, je me suis soudain retrouvée face à une échoppe fort bien achalandée – un peu achalandée comme dans une carte postale de v’là l’temps, si j’ose dire. Derrière la vitre, d’élégants charcutiers virevoltaient en tenue immaculée parmi des myriades de jambons et de saucisses sèches, d’escalopes de boeuf aussi fines qu’une feuille de papier de riz japonais et d’oies grasses et géantes exigeant presque d’être rôties sur-le-champ. Mais qu’est-ce donc que ce paradis, me disais-je, moi qui vis dans un quartier où les poulets à vendre ont l’air d’avoir subi une chimiothérapie?
Ce petit havre de la gastronomie s’appelle Rogacki. En y pénétrant je découvris un monde inconnu, un monde loin de Kreuzberg, de Prenzlauer Berg, de Neukölln : le monde des Charlottenbourgeois qui savent bouffer. D’élégants vieux se baladaient entre les stands, branlant du chef en connaisseurs, sanglés dans leurs petites vestes vert bouteille. Derrière l’étalage gargantuesque de viandes rouges et blanches, saines à en faire frémir Jean-Pierre Coffe, se cachaient encore des poissons si frais qu’ils sentaient l’écume ramassée au petit matin breton. Des langoustes parfaitement inconscientes de leur sort tragique s’ébattaient gaiement parmi des coquillages dans des aquariums rutilants.
What the fuck?!
… me dis-je en mon for intérieur, et je m’empressais d’envoyer un texto à Jérémie, mon copain-ventre qui fait le tour des meilleurs spots gastronomiques d’Europe. Car la découverte ne s’arrêtait pas là : à quelques pas de Rogacki se loge Wilhelm Hoeck 1892, une taverne à l’allemande pavée de boiseries cirées, comme dans les rêves, comme dans le premier épisode de Sissi, avec un menu tout en roulades de boeuf au chou, choucroute, et tout et tout. On peut même fumer au bar en se prenant pour une Allemande de l’après-guerre, un trait de khôl en guise de couture de bas sur la jambe, une voilette mystérieuse penchée sur des yeux de braise. Ach! l’Allemagne de carte postale, l’Allemagne d’antan, l’Allemagne qu’on ne voit jamais vraiment à Berlin quand, comme moi, on est expatrié.
Déambulant un peu plus avant dans Charlottenburg, j’emprunte la célèbre Kantstrasse. On ne fait plus la réputation du merveilleux Schwarzes Café, avec son décor de bric et de broc sur deux étages, son jardin, qui le font ressembler à la maison d’un peintre fantaisiste des années cinquante. La cuisine y est tout aussi délicieuse, goûtez-moi cette foutue soupe de potiron à l’huile de graines de citrouille et ces gâteaux.
Mais pour quitter les arcanes de la gastronomie classique à l’allemande, il faut s’aventurer plus loin dans la Kantstrasse, là où presque personne ne va. Heno Heno est une adresse secrète, que je m’empresse de vous divulguer, tant pis. Cet adorable imbiss (petit restaurant où l’on peut manger sur le pouce) est tenu par de jeunes artistes japonais et n’a rien d’un vulgaire fast-food à sushis. Dans un décor qui vous donne le sentiment d’être tombé chez l’étudiant en art le plus sympa de Tokyo, on déguste des soupes traditionnelles (Udon, Soba – environ 5 euros), des plats de riz aux grains aussi ronds et fins que des perles sauvages (environ 4 euros) et l’on boit du thé vert au grains de riz soufflés (1,20 euros). Chez Heno Heno, on n’écoute pas de la musique traditionnelle japonaise pour faire genre – nul besoin de prétendre à quoi que ce soit, puisqu’ici nous sommes chez de vrais cuisiniers du Pays du Soleil Levant. C’est au son de Tom Waits et de Radiohead que le chef fait cuire les tranches de boeuf et les lamelles de tofu. Oishi!
Maintenant, un interlude senteur (après tout, le nez est relié au palais). Ma petite promenade digestive m’a ensuite menée devant la vitrine d’Harry Lehmann, un parfumeur de Berlin qui a créé, dans les années 20, le sent-bon préféré de la reine des reines, Marlene Dietrich, un extrait de violette très franc et peu sucré. Sa boutique, qui ressemblerait presque à celle d’une entreprise des pompes funèbres, est envahi de fleurs artificielles, au milieu desquelles s’étalent des centaines de flacons au look rétro et sans prétention. « Sucre », « Bahia », « Lambada », « Sminta » : les noms font rêver et certaines fragrances n’ont rien à envier à Chanel ni à Dior. Les eaux de Colognes sont particulièrement exquises. Et les prix sont imbattables, car Monsieur Lehmann vend… au poids!
En me promenant vers la fameuse Savignyplatz, qui fut ultra-branchée dans les années 70 et qui n’est plus rien du tout aujourd’hui, je suis tombée sur un petit eden du thé, Paper & Tea, dans la Bleibtreustrasse. Cette boutique ultra-élégante en fait toute une cérémonie : un jeune homme parfaitement vêtu d’une veste bleu Klein à col Mao est assis derrière une table sur laquelle il prépare un breuvage, comme un rituel. Il me fait goûter un Oolong (thé vert) au goût si délicat qu’il évoque un thé noir de luxe. Il m’explique avec art comment préparer le thé dans une toute petite théière en céramique, la température de l’eau, le choix de la tasse. Emprisonnées dans des verres de laboratoire, les feuilles de thé sont présentées par couleur (vert, noir, blanc, rouge) avec une fiche expliquant sa provenance et son mode de préparation. Le jeune homme continue à discourir sur chaque sorte, plus imbattable qu’un sommelier.
En repartant, et après être passée devant le génial Kant Kino (un cinéma légendaire qui fut aussi le lieu des premières heures de la musique punk à Berlin, à la fin des seventies) j’ai fait un petit tour à l’extraordinaire librairie Bücherbogen am Savignyplatz, qui a une collection de livres d’art et de cinéma fantastique (pour les cinéphiles, sachez que l’on y trouve le dernier numéro des Cahiers du Cinéma chaque mois!). Hype, super hype, je vous dis, Charlottenburg. Mettez-moi un bon club sur la Savignyplatz, un imbiss turc bitte schön, un ou deux bars destroy et je déménage. Loin des hipsters mainstreams, loin de la branchitude à la Disneyland-Mitte, Charlottenburg a la classe… et les loyers y sont moins chers qu’à Kreuzberg!
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