Parfois, tu provoques une rupture, et puis tu t’aperçois que, peut-être, tu as fait une énorme connerie. Parfois, tu te dis que Berlin est insupportable, tu t’en vas et ensuite, tu donnerais tout pour qu’elle te reprenne… L’amour libre, c’est peut-être la solution.
Enfant, je n’avais pas de peine d’amour.
J’allais et venais, jouant aux Playmobils avec ma sœur, mangeant du chocolat en cachette, dévorant des livres interdits ; oui, une enfance passée dans les bouquins, dans de grandes maisons pleines de vieilleries, dans la nature, dans mes fantasmes.
Enfant j’étais donc libre, parce que je n’avais pas de peine d’amour. Je n’avais de chagrins que ceux, brefs, tempétueux, qui suivaient une punition infligée par les adultes ou la perte d’un objet cher. Je n’avais pas de nostalgie, tout n’était que futur. J’étais bien tranquille, saine et vivante.
Cette espèce de machin qui te bouffe les entrailles de l’intérieur, te ronge le cœur, pourrit tes relations avec les autres, t’empêche de bosser, cette peine d’amour, cette nostalgie – elle vient avec le temps, c’est un des nombreux privilèges de la perte de l’innocence.
Avant la peine d’amour, il y a l’amour tout court. Promenades sous l’orage, baisers discrets, cocktails pour cacher l’exquise timidité d’avant la tornade : vêtements arrachés, mots fous lancés contre les murs, baise infernale, infinie, divine. Berlin à vélo, Berlin à pied, Berlin en Ubahn sur la ligne U1 – la plus belle, me disait l’un de mes tout premiers amants berlinois, parce que le train frôlerait presque les arbres de Görlitzer Park. Berlin en taxi, toi et moi jetés dans la nuit à la recherche d’une chambre d’hôtel avant de se rabattre sur un porche quelconque. Berlin au restaurant, moi qui réclame du VRAI champagne comme d’habitude, pas du Sekt de merde, mais il n’y en a pas, alors je bois le Sekt de merde quand même et je suis extrêmement heureuse, parce que tu me regardes et que tes yeux disent : je te veux, je te veux, je te veux n’importe où et n’importe comment ! Moi aussi, je te veux. Dans la cabine du Fotoautomat, dans les toilettes du bar. Dans ton lit, ce bateau insubmersible au milieu de la marée nocturne, flottant sur une mer d’alcool, de drogues, de livres, de fêtes, de déguisements, de paillettes, d’amis, tant et tant d’amis !
Berlin qui est tien et qui est mienne. L’amour à Berlin prend toute la place, car il y a tant d’espace sous ses hauts plafonds, entre ses murs épais qui cachent les secrets les plus excitants, ou sous les frondaisons de Treptower Park, de Tiergarten. L’amour à Berlin est la meilleure des drogues, elle te fait les joues roses, elle te rend TELLEMENT HIGH, tellement pétée, tellement heureuse.
Et la descente ?
La descente… Berlin Berlin Berlin comme un mantra, Berlin Berlin Berlin une obsession, Berlin Berlin Berlin une saloperie tenace qui ne s’échappe pas, une peine d’amour qui n’en finit pas, justement parce que l’amour n’est toujours pas mort.
Ensuite, les souvenirs se figent. Ils deviennent des mythes, jusqu’à ce que quelqu’un ou quelque-chose vienne leur redonner vie. Alors la nostalgie se transforme en désir maladif, impérieux, en négatif de l’histoire passée. Les orbites de l’amant y sont phosphorescentes comme ses cheveux ; sa peau devient noire. On a le négatif, on peut en retirer une photo. On veut vivre.
Je veux la vie. Je veux que Berlin soit encore la vie pour moi. Je veux ne croire qu’à l’instant, je veux croire que quand je foule ton sol, Berlin, tu me donneras toujours tout. Tu ne m’as jamais privée de rien !
Je t’ai quitté, Berlin, ai-je mal fait ? Es-tu prêt à me reprendre, même pour quelques jours, même pour quelques mois, veux-tu bien me laisser aller et venir en toi ? Serais-tu d’accord pour un amour sans nom, sans étiquette, sans attaches… puisque nous sommes déjà si liés l’un à l’autre ? Tu n’as jamais aimé les conventions. C’est toi qui m’a appris à être libre, ma ville. On repart pour un tour de manège ?

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