manon

Dire non au travail des enfants

Chers amis lecteurs,

La Berlinale, c’est bien joli, j’y passe ma vie en ce moment et je vous en parle beaucoup et vous en parlerai encore après-demain. Mais si je cours avec ma caméra d’un réalisateur à l’autre pour vous en rapporter les nouvelles, je suis aussi occupée à tourner quelques images pour mon propre compte.

Dire non au travail des enfants et à l’exploitation d’une main-d’œuvre sous payée dans les pays en voie de développement est un de mes chevaux de bataille, dont je rebats les oreilles de mes amis depuis belle lurette.

Voici ma contribution vidéo d’une minute à cette croisade, pour le compte d’un concours de spots en faveur du commerce équitable. En espérant que ce spot aura l’heur de vous plaire… n’hésitez pas à le faire circuler!

« I wear only sweat »

Avec Sebastian Matthias Kolinski, Leonie & Anton Rimtragoon

Réalisation : Manon Heugel / DoP et Montage : Jonas Brandau / Son : Rene Paulokat / Musique : Honey & The Greek / Production : Oliver Moser & Jörn Hanicke


Le film français en bonne posture à la Berlinale

Céline Sciamma au festival de Berlin, à la sortie de la projection de son film « Tomboy », février 2011

Le festival international de cinéma de Berlin, l’un des plus grands au monde, aime le cinéma français… et les femmes. Brigitte Sy, Céline Sciamma ou encore Anne Villacèque présentent chacune une œuvre dans les salles bondées de cinéphiles et de professionnels du cinéma. J’ai laissé traîner mon oreille par là : définitivement, le public est enthousiaste.

Le festival de Berlin est commencé depuis trois jours et déjà, le mot est passé : Tomboy, de la Française Céline Sciamma, va faire un carton. La jeune réalisatrice présente son deuxième long-métrage après Naissance des pieuvres en 2007. Écrit et tourné en 5 mois seulement, avec un budget de 500 000 euros, Tomboy raconte avec une grande délicatesse l’histoire de Laure, une fillette de 12 ans, qui se fait passer pour un garçon dans son nouveau quartier.

La très jeune interprète, Zoé Heran, fascine et trouble dans son corps gracile de garçon manqué et le travail de direction d’acteurs exécuté par Sciamma est époustouflant. « Je voulais raconter l’intimité d’une famille », explique la réalisatrice, « je ne voulais pas de drame social ». Des images sensuelles vient nous raconter un instant de la vie d’un enfant, au plus près des visages et des corps, comme dans son premier film qui se déroulait dans l’intimité troublante des vestiaires d’une piscine. « C’est le film qui raconte le mieux l’enfance au XXIe siècle », lance un spectateur conquis après la projection.

Zoé Heran dans « Tomboy »

Les mains libres, de la Française Brigitte Sy, un véritable chef-d’œuvre, courageux et on ne peut plus personnel, avait bouleversé les quelques journalistes présents pendant les projections de presse avant le festival. J’y ai moi-même vidé mon paquet de Kleenex. Le film, sorti en France en juin 2010, trouve à Berlin l’occasion de rencontrer son public mondial. Youpi pour Brigitte Sy – une merveilleuse artiste que j’ai eu la chance de rencontrer aujourd’hui et dont je vous livrerai l’interview sous peu.

Et gageons qu’E-Love, film très parisien et très féminin d’Anne Villacèque, connaîtra un certain succès auprès des Allemands friands de néo-Nouvelle Vague et de « légèreté française » – bien que le film soulève aussi des questions bien contemporaines sur la misère sentimentale, qui ne trouvent pas d’issue dans l’amour virtuel et autres sites de rencontres amoureuses.

Pas de photos de Kevin Spacey ou de Madonna à vous rapporter, chers lecteurs, mais celle-ci : une petite manif organisée par des étudiants italiens à Berlin à l’entrée du festival, pour faire tomber Berlusconi… probablement inspirée par le grand élan de liberté égyptien. BASTA!

La Berlinale est en effet l’endroit idéal pour protester à tout instant, lorsqu’on voit la queue infinie de cinéphiles venus acheter leurs tickets pour les séances du lendemain. Toute la ville est en effervescence pour la grand-messe du cinéma, sur laquelle le rideau tombera le 20 février. D’ici là, amis lecteurs, je vous rapporterai d’autres bonnes nouvelles du grand écran.

La foule se presse au centre du festival, pour acheter des places pour les séances des jours suivants.


Bonhomme rouge, bonhomme vert : une histoire de la discipline allemande

Pas une voiture à l’horizon, la route est libre à perte de vue, mais le petit bonhomme du feu de croisement est rouge. Le citoyen allemand restera planté là, dût-il geler par -5 degrés, à attendre qu’on lui donne le feu vert. Malheur à celle (moi) qui osera enfreindre cette règle d’or d’Outre-Rhin !

Amis lecteurs – vous parlez français, donc vous êtes sans doute Français, ou Belges, ou Sénégalais, ou Martiniquais, ou Malgache, ou bien Québécois. Je suis donc certaine que cet article touchera votre cœur sensible qui, comme le mien, aime tant violer les lois de la circulation en ville. Si vous êtes Suisse, je demande votre indulgence.

Les Français qui débarquent à Berlin se gaussent toujours de la discipline des Allemands, et les Teutons s’offusquent de l’insolence des Gaulois. On m’a fait les gros yeux plus d’une fois quand je traversais au rouge – une mère de famille m’a même rappelée à l’ordre, prétendant que j’étais « un mauvais exemple pour ses enfants ». Et bien que je me sois dit plus d’une fois que cette dame avait raison, mes gènes français me poussent à franchir le passage piéton quelle que soit la couleur du feu, pourvu que la voie soit libre.

Mais d’où vient donc cette légendaire auto-discipline germanique, qui fait ressembler bien des cités allemandes à des villages Playmobil aux toits reluisants et aux jardinets astiqués? Souvenons-nous que Lénine avait dit : « Le seul pays où il n’y aura pas la Révolution, c’est l’Allemagne. A cause du panneau Interdit de marcher sur la pelouse devant le Parlement ». Même à Berlin, ville de punks, de drogués et d’artistes, on trie ses ordures, on fait faire pipi à son chien dans le caniveau, et on ne fait pas la vaisselle à l’eau courante.

Chez vous, amis lecteurs, je suis sûre que les gens traversent la rue n’importe quand, du moment qu’une bagnole n’est pas aux aguets et qu’un uniforme ne promène pas son carnet de contraventions dans le coin. Eh bien, ici, à Berlin, il faudrait une alerte nucléaire pour qu’un Allemand ose franchir le passage piéton quand son Ampelmännchen (le célèbre petit bonhomme du feu de croisement à Berlin, réputé dans le monde entier pour son design funky) est rouge.

Pensez-vous, une compatriote de Cyrano et de Depardieu comme moi, ça traverse quand ça veut. Voilà que j’étais à vélo, roulant à la vitesse d’une caravane chargée pour un trajet Amsterdam-Ibiza, donc quasiment à pied, en gros. Le feu allait passer au rouge, je me tâte, regarde à droite, à gauche, oh, bof, personne, allons-y mes gaillards, je m’engage allègrement, grillant un peu le feu allemand.

J’avais pourtant dans mon champ de vision la jolie camionnette verte et blanche de la police. Disons que mon infraction me semblait mineure, minorissime, si j’ose dire. Il me semblait peu probable que les agents s’intéressent au cas d’une blondinette en bonnet à pompon posée sur un vélo de la taille d’un tricycle pour enfants, roulant à 2km/h dans un coin très tranquille.

Deux fonctionnaires empâtés de la ceinture sortent de la camionnette, me somment de présenter mes papiers et me servent un sermon de dix minutes. Me souvenant du précepte de mon ami américain James (« En Allemagne, tu es coupable tant que tu n’as pas prouvé ton innocence »), je fais profil bas, et réponds humblement : « Oui oui, vous avez raison » à tout ce que me disent les uniformes verts. Je me dis que je vais m’en tirer avec un avertissement, comme ce serait le cas avec (presque) n’importe quel fonctionnaire de police de chez nous.

Eh bien non. Une amende de 100 euros. Vous m’étonnez qu’ensuite, les citoyens allemands se tiennent à carreau!

Par la suite, j’ai donc commencé à tester la discipline allemande sur mon propre cas. Je ne traverse qu’au bonhomme vert et je ne grille plus le feu à vélo, même la nuit (!). C’est assez relaxant. On se plante là, au croisement, et on attend que ça passe au vert. On regarde les bus passer, les oiseaux voleter et tout le tralala. Quand c’est mon tour de passer, hop, nous y allons tous ensemble, moi, et mes autres copains disciplinés, dans un élan collectif qui fait bien plaisir à voir.

Parfois, je me dis que c’est aussi une manière de ne plus penser du tout – vert j’y vais, rouge j’y vais pas – et que le citoyen allemand, finalement, a rangé son esprit critique au placard et s’en remet corps et âme à l’État, comme si celui-ci était infaillible.

Mais puisque les oiseaux dans le ciel presque printanier sont jolis, et que l’Ampelmännchen a une bonne bouille… je mets mon mauvais esprit de côté.

Et au moment où j’écris cet article, je découvre celui de Diawara qui raconte la circulation sous un jour bien différent… à lire absolument.


Deux jeunes galeristes françaises à Berlin

Voici un reportage que j’ai tourné pendant l’été 2010 pour le site Berlin is not for sale, qui malheureusement, n’a pas survécu à la dispersion de ses auteurs aux quatre coins de la planète (de Shangaï à New York…).

L’histoire culottée de ces deux Françaises de 23 ans, qui ont monté une galerie d’art-appartement à Berlin, sans aucun financement, me paraissait un sujet tout trouvé pour Mondoblog et pour Génération Berlin. J’avais tourné le reportage en anglais, je l’ai donc sous-titré pour vous, amis francophones.


Ma première conf’

Ma première culotte, mon premier baiser, mon premier diplôme (premier d’une longue liste inutile), ma première… conférence de presse. Merci RFI*! Grâce à Mondoblog, j’ai assisté à la sacro-sainte conférence de presse du grand festival de cinéma de Berlin. Où comment une jeune blogueuse apprend que les journalistes sont, comme elle, de vrais gamins.

L’ambiance est en effet celle d’une grande cour de récré. Certes, on est là pour bosser. La Berlinale est, avec Cannes et Venise, l’un des plus grands festivals internationaux de cinéma au monde. 4200 journalistes par an en moyenne accourent des quatre coins de la planète pendant les 10 jours de cette grande fiesta dédiée au film. Caméras, appareils photos, ordinateurs portables et stylos peuplent la salle de la conférence de presse logée dans un grand bâtiment en verre, au cœur de la capitale allemande.

11h05 : je débarque, en retard de cinq minutes. Je reçois un poster, assorti d’environ 50 pages de programme sur le festival. Il y a une queue de quatre mètres devant un stand qui distribue des goodies L’Oréal et des dépliants offerts par les marques qui sponsorisent le festival. Peu émue par cet engouement bizarre des journalistes pour cette paperasse commerciale, je préfère me battre dans la file d’attente pour le café. Au passage, je pique une ou deux bouteilles d’eau gazeuse. Le type du stand « Teddy Award » (la section cinéma gay) me fait un clin d’oeil complice. Coquin!

11h15 : dans la salle de conférence, en attendant que le grand show commence, les photographes se « shootent » entre eux en faisant des grimaces. Je m’aperçois que je suis loin d’être la seule à avoir piqué des bouteilles de flotte.

11h20 : Dieter Kosslick, le célèbre directeur du festival, monte sur scène avec son équipe. Les photographes se jettent sur lui comme des mouches sur un pot de miel bio. Tenant un ours noir à la main – visiblement la nouvelle mascotte du festival édition 2011 – M. Kosslick s’exclame, bon enfant : « cette photo, on ne l’a pas encore faite! » Rigolade générale des 2000 reporters dans la salle.

11h30 : Dieter Kosslick déballe le programme alléchant des jours à venir. True Grit, le film très attendu des frères Coen, fera l’ouverture du festival (ce qui représente un grand honneur, bien sûr). Il s’agit d’un western, mais le directeur de la Berlinale affirme qu’il s’agit d’un « film de femmes ». Ah. A vérifier.

11h40 : je suis très appliquée, je prends mes petites notes sur mon carnet – normal, c’est ma première conférence de presse, les amis. Mais à côté de moi, les journalistes chevronnés, eux, font des petits signes de la main à leurs copains de la rédaction bidule et de la chaîne machin, lisent leurs mails sur leur Iphone ou gribouillent sur le dossier de presse. Je leur fais des mines outrées de première de la classe.

11h45 : une journaliste de Radio Berlin pose une question pour ses auditeurs midinettes de moins de 50 ans. « Y aura qui comme star? Et Madonna, elle vient ou pas? » Rires. Il y aura donc William Hurt, Ralph Fiennes, Kevin Spacey, Jeremy Irons, Colin Firth, Helena Bonham-Carter, Jeff Bridges, Liam Neeson, et Madonna, on ne sait pas encore. Je fronce le sourcil devant ce chapelet d’acteurs anglophones. Et la France, alors!

11h47 : Ah, si, tout de même : Sandrine Kiberlain et Hippolyte Girardot. Silence dans la salle. Personne ne les connaît, à part la petite Mondoblogueuse française que je suis.

11h50 : une autre journaliste relance sur Madonna. Je me mets à gribouiller sur mon dossier de presse. Dommage que je n’ai pas d’Iphone pour checker mes mails ou surfer sur Fessebouc. Flûte.

11h55 : Le sujet Madonna est clos. Ouf. A ma plus grande joie, je m’aperçois que pour beaucoup de journalistes, le cinéma est aussi une affaire politique. Un reporter s’enquiert de Jafar Panahi, le grand réalisateur condamné à la prison et interdit de tournage par la République islamique d’Iran. Cette année, le festival de Berlin se montre solidaire et projette ses films. « J’ai eu Jafar Panahi au téléphone », raconte Dieter Kosslick. « Il est au courant de ce que nous allons faire pour le soutenir. Mais il ne s’agit pas que de lui : cette solidarité avec Panahi doit donner de l’espoir à ses collègues cinéastes iraniens qui se trouvent aujourd’hui dans des situations terribles. C’est une véritable manifestation que nous faisons ainsi à la Berlinale », conclut le directeur du festival. Je tire mon bonnet de laine à pompon devant cette belle initiative.

12h : j’apprends que la section « Cinéma culinaire » porte le titre « Give food a chance » et lutte pour le « slow fooding », autrement dit contre la malbouffe. « Une réaction au scandale de la dioxine dans les viandes allemandes », souligne Kosslick.

12h05 : c’est plié. Grande récré pour les journalistes qui se précipitent dehors pour s’en griller une ou s’arracher les derniers programmes de la Berlinale.

12h06 : Oh joie, je reconnais une consœur de plume, une jeune blogueuse allemande. Cela me fait chaud au cœur. A la prochaine grand-messe de la Berlinale, moi aussi, j’aurai une copine dans le dos de qui je pourrai taper, avec qui je pourrai piquer des dépliants l’Oréal et faire des photos grimaçantes en attendant que Isabella Rosselini, la présidente du jury du festival, passe sur le tapis rouge. Youpi!

* Et surtout, un très grand merci à Ziad Maalouf.


Fashion Week de Berlin : la mode écolo

Manteau recyclé par km/a à la Fashion Week de Berlin

La mode écolo et éthique, c’est un combat qui me tient à cœur. Lorsqu’on sait que la plupart de nos vêtements sont fabriqués dans des usines polluantes par des enfants malais payés 13 cents de l’heure, on se réjouit de voir que la Fashion Week de Berlin accorde une place particulière aux stylistes qui respectent l’Homme et son environnement naturel. Le show s’appelle Conspiracy et s’est tenu le 20 janvier 2011 à la Columbiahalle, dans l’aéroport désaffecté de Tempelhof, à Berlin.

Les stylistes autrichiens Katha Harrer et Michael Ellinger, créateurs de la marque km/a, m’ont invitée à venir admirer leur nouvelle collection à partir de toiles de parachutes recyclées en robes du soir et autres vestes élégantes dans des tons bleus, gris et beiges. Je connaissais depuis deux ans leurs superbes manteaux taillés dans de vieilles couvertures de prison, qui s’affirment également comme étendards politiques : la prison dans la rue, comme une réintégration sociale par le vêtement. Une idée intéressante, ambiguë, qui ne laisse pas de m’intriguer dans la mode – domaine par excellence du superflu.

Kathe Harrer et Michael Ellinger (km/a), Fashion Week, Berlin 2011

Berlin a encore fort à faire pour s’imposer parmi les Fashion Week qui comptent. Dans le défilé de Conspiracy, km/a tire nettement son épingle du jeu, parmi des stylistes encore empêtrés dans le style « éthique=folklo-babos ». D’ailleurs, plusieurs rangs de « VIP » laissés vides sont occupés par des visiteurs comme vous et moi, qui viennent se moquer de la maigreur des mannequins, en raflant le buffet.

Les VIP ne se pressent pas dans la capitale allemande, ils préfèrent applaudir Gucci à Milan et Dior à Paris. C’est justement cette ambiance bon enfant, un peu dépouillée de ses oripeaux snobs, qui rend la Fashion Week de Berlin sympathique – mais hélas encore bien loin de concurrencer ses soeurs italiennes, françaises ou américaines.

Allons, stylistes écolos et éthiques, à vos ciseaux : faites-nous de la haute couture ethically correct!


Des résistants iraniens luttent à Berlin

Résistantes iraniennes blessées après une attaque violente au camp d’Ashraf, Irak, 2009 (source de l’image ici)

À Berlin, des exilés politiques iraniens organisent la résistance et luttent pour les droits de l’Homme en Iran au sein de leur association, la « Verein für Hoffnung der Zukunft e.V. » (Association pour l’espoir de l’avenir). Leur combat : que les 3400 réfugiés politiques du camp Ashraf (Irak), qui ont osé s’opposer au régime islamique, reçoivent de toute urgence la protection des organisations internationales.

Été 1988 : la République Islamique d’Iran exécute 30 000 prisonniers politiques, presque tous par pendaison. La plupart sont des Moudjahidines du peuple. Ce mouvement de résistance armée (OMPI, Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien), s’est formé en 1965 en opposition au régime du chah mais demeura actif après la Révolution islamique de 1979. Promoteurs d’un islam libéral, ils subissent les persécutions du régime actuel en Iran depuis plus de trente ans.

Aujourd’hui, ces hommes et femmes qui luttèrent pour la liberté d’expression ou encore contre la lapidation des femmes dites « adultères », se sont réfugiés dans le camp Ashraf, à 60 km au nord de Bagdad, en Irak.

Début 2009, le contrôle de cette cité est passé des mains américaines aux autorités irakiennes. Depuis, les forces irakiennes, sur les ordres du régime iranien, ont multiplié les attaques et les meurtres à l’encontre de la population d’Ashraf. Un siège inhumain, imposé par le Premier Ministre de l’Irak Nouri-al-Maliki, empêche les malades et blessés de recevoir des soins. Les observateurs internationaux ne peuvent pas se rendre au camp et les avocats des opposants ont le plus grand mal à pénétrer dans la ville.

A Berlin, un grand bâtiment en verre abrite les bureaux de la « Verein für Hoffnung der Zukunft e.V. » Ses membres, des hommes et des femmes exilés souvent depuis vingt ans en Europe, luttent à distance pour soutenir les dissidents d’Ashraf. Ils organisent des conférences juridiques dans toute l’Allemagne, des conférences de presse et des manifestations en signe de solidarité avec la résistance iranienne. Ils lèvent des fonds pour organiser des campagnes de sensibilisation afin que les organisations internationales, en particulier l’ONU, intercèdent en faveur des prisonniers politiques d’Ashraf.

Ils sont courageux, mais ils ont peur. Je ne prendrai pas de photos, je ne dirai pas leurs noms. Ils se cachent derrière le titre de l’association. Les représailles sont terribles pour ceux qui osent se battre, même depuis l’étranger. Car tous ces résistants ont encore de la famille en Iran : et c’est une mère, une sœur ou un petit cousin qui paieront de leur vie le combat de leur parent exilé en Europe.

L’association lutte également pour que les dissidents menacés de mort en Iran puissent accéder à l’asile politique en Europe. Elle travaille en commun avec des associations humanitaires, essayant de faire parvenir des médicaments aux prisonniers politiques.

L’association se bat furieusement pour les droits des femmes, qui, comme on le sait, sont bafoués chaque minute dans ce pays, où des hommes lapident en public et avec des cris de jouissance, celles qui ont le malheur d’avoir été regardées par un autre homme en dépit d’un voile qui recouvrent leur corps (mais aussi leur âme) de la tête aux pieds.

Ahmad*, un avocat, membre bénévole de l’association, m’offre un thé bien noir et de délicieuses douceurs persanes. Il est fier de la beauté de sa culture. Il s’enorgueillit de voir que j’apprécie la qualité de la gastronomie iranienne. Mais il est concentré, droit et sombre, lorsqu’il me montre les vidéos prises à Ashraf et me raconte l’état dramatique de plusieurs malades du camp atteints du cancer et privés de soin.

Ahmad m’a chargé de raconter leur lutte, car « il n’y aura jamais assez de presse à ce sujet », dit-il. Ceux qui souhaitent soutenir l’association par un don peuvent le faire à travers leur site Internet, www.vhdz.de.

Le réalisateur Jafar Panahi à Berlin en 2006

A l’heure où tout Berlin, échauffé, prépare son grand festival du cinéma, les organisateurs de la Berlinale ont eu le courage et l’intelligence de se montrer solidaires avec les résistants d’Iran. Le 11 février 2011, le film Offside du réalisateur Jafar Panahi (condamné par Téhéran à une lourde peine de prison) sera montré en grande pompe sur les écrans de la compétition officielle.


Jazzy Berlin

Capitale européenne de l’électro, Berlin est plus connue pour ses clubs et ses DJ-rois de la techno minimale comme le Berghain ou le Watergate, où l’on ondule comme un zombie sous des stroboscopes, les oreilles bombardées de basses violentes. Mais tous les soirs de la semaine, la musique des esclaves noirs d’Amérique fait vibrer différents clubs de la capitale germanique au rythme de voix chaudes et de croupes voluptueuses : le JAZZ !

Mardi soir, 22 heures. Dans un îlot de lumière plongé dans la nuit du parc Görlitzer, une voix élastique s’étire d’un octave à l’autre et fait déjà battre le cœur. La batterie s’affole et un piano s’enflamme. Soirée jam session à l’Edelweiss, un club de jazz de Berlin connu pour ses soirées chaudes.

C’est le patron du bar qui est à la batterie. Transpirant, souriant, tranquille comme un lion, il accompagne une jeune Allemande en T-shirt coulant sur l’épaule qui rejette ses cheveux en arrière en vocalisant sur Stormy Weather. Ici, l’improvisation comme les standards ont la cote. Et, contrairement au club B-Flat, dans le centre de la ville, où se presse une clientèle de quadragénaires élégants pour écouter des voix cristallines, à l’Edelweiss, les amoureux du jazz ont vingt-cinq ans et se déchaînent sur des rythmes chauds et vibrants comme la terre de la New Orleans.


Une slameuse new-yorkaise vibre sur la batterie du patron du bar

Une fille de New York se met à chalouper. Elle a un poème pour toutes les femmes: le poème de la femme africaine, en anglais. Comme un serpent, elle slame avec une sensualité et une force hypnotisante. Le public allemand – très black, très blanc, pour une fois – se tait, scié, et laisse sa bière en suspend.

Ici, les gens se parlent, s’abordent, l’amour du jazz rapproche. Parmi le public se trouvent aussi des vieux routards de la musique, cheveux longs et look très new-yorkais. Un mélange générationnel rare à Berlin. Devant la porte des toilettes, je rencontre Mamadou, alias Blow P, qui est sénégalais et a épousé une Allemande. Tous les matins, ce Musulman convaincu et détendu va à l’école apprendre la langue de Goethe, mais le soir, pour lui, c’est jam session assaisonnée de grands discours sur Dieu. Rappeur (écouter ici) installé à Berlin, il navigue entre le Sénégal et l’Allemagne. Lui aussi aime slamer sur les jam sessions berlinoises, et j’avoue, sa musique me ferait même aimer le rap, même si je ne parle pas un mot de wolof.

Le Jazz Guide Berlin vous sera très utile en cas d’envie soudaine de vibrations blues, soul, vocal ou instru. Ça change des scintillements très deutsch de l’électro minimale, et de temps à autre, ça fait du bien, non?

* Das Edelweiss, Görlitzerstraße 1-3, Haus 2, 10997 Berlin,

Tel: +49 306 10 748 58


Rôti de hamster : une tradition française légendaire

À Berlin, un serveur italien m’a appris l’existence d’une recette légendaire originaire de la Loire : le rôti de hamster. Info ou intox alimentaire?

Le serveur du restaurant italien Herr Rossi, dans le quartier de Prenzlauer Berg, m’entends parler français avec une amie de Paris, alors que nous nous gavons d’une sublime série de raviolis à la citrouille sauce sauge fraîche. Il nous alpague alors dans la langue de Molière, avec un accent et une gouaille digne de Robert Benigni, ne cessant de la ramener sur la supériorité de la gastronomie italienne pour nous faire tiquer.

Avez-vous déjà remarqué? Toute la planète se rit de nous autres, pauvres Français, accusés de faire de nos ventres un étendard politique. Mais merde, quoi : la gastronomie française n’est-elle pas devenue « patrimoine de l’Humanité » en novembre 2010? (Car oui, amis lecteurs du monde entier, la France a osé : elle a déposé une demande d’entrée au patrimoine mondial pour sa gastronomie, au comité intergouvernemental de l’Unesco réuni à Nairobi (Kenya). Cf l’article de RFI ici. Vous avez le droit de rigoler.)

Ce serveur ne laisse donc pas de me faire rire, je dois l’avouer. Il se trémousse tout en nous asticotant : le Pinot Grigio est meilleur que le Chablis, la ciabatta meilleure que la baguette, oui signora. Finalement, je lui demande où il a appris à parler un français aussi cyranesque.

« Ah, j’ai eu un chéri français, une bombe, mais il m’a brisé le cœur », réplique notre serveur en prenant des poses de Madame Bovary.  Il ajuste ses lunettes de vue sur son nez aquilin. « Mais avec lui, je ne mangeais que des sandwichs, on faisait l’amour tout le temps » (- on se marre. Tout le resto nous mate, mais personne ne parle français à part nous, c’est avantageux n’est-ce pas).

« Quand mon chéri m’a emmené chez sa grand-mère dans la Loire, je me suis dit : hmmm, enfin! La bonne cuisine française de mémé, faite maison, mijotée pendant des heures! Mais tu sais pas ce que j’ai bouffé, non?!! »

Le serveur, pris dans le feu de son histoire, pose les assiettes qu’il devait porter à la table voisine. Les clients font la gueule en voyant leurs mets refroidir.

« Tu vois, ces petits animaux, là, qui courent dans des roues? Les hamsters! Elle a pris un petit hamster, tout mignon, dans sa cage… » Il nous transperce du regard, instant suspendu. Ma pote et moi, on ne se doute de rien.

« … VIVANT! et Hop! » Il frappe du plat de la main sur la table, les verres valdinguent. « Elle l’a tué avec un couteau, là, devant moi! » Il porte ses mains à son visage, exprimant à nouveau l’horreur de cet instant passé. « Il y avait du sang partout! » ajoute-t-il en poussant un petit cri. Mon amie Sophie me regarde, bouche bée, et balbutie : « mais non… ce n’est pas possible… » Et lui de poursuivre, rongeant ses poings : « si! Et elle l’a fait rôtir! »

Cri d’horreur de Sophie et de moi-même. Non mais, c’est ignoble, tout de même – un hamster innocent, rôti comme une vulgaire dinde.

« Et avec quoi l’a-t-elle fait rôtir? » demandais-je, curieuse. « Avec des pommes de terre! » s’exclame le serveur d’une voix stridente, « la vieille m’a dit que c’est une spécialité française! ».

L’incrédulité se lit sur nos visages. C’est déjà difficile de se représenter une grand-mère de nos campagnes trucidant un cochon d’inde avec un couteau de boucher, mais imaginer qu’elle puisse le faire rôtir avec des patates, cela dépasse l’entendement, excusez-moi.

D’abord, un hamster est beaucoup trop petit pour être un plat familial, sa taille laissant à peine espérer une portion individuelle surgelée de chez Picard à glisser au micro-ondes pendant la pause-dèj de bureau. Ensuite, les pommes de terre rôties, en France, ça se mange avec du confit de canard, un carré d’agneau ou du poulet, à la rigueur avec une omelette dans sa version self-service de station de ski, mais certainement pas avec du rongeur. Sophie et moi sommes unanimes. Ce serveur se paie notre poire.

Mais ce bel Italien ne lâche pas le morceau. Alors que je règle l’addition, il me saisit le poignet avec force, et me dit : « eh, tu sais, ce n’est pas parce que je suis Italien que je suis un menteur, hein. Je te jure que c’est vrai. Sur la tête de la Madone! Et tu sais ce que ça veut dire pour nous, hein! »

Ouais, c’est ça**. Et nous, les Français, nous sommes les rois de la gastronomie.

*Restaurant Herr Rossi, Winsstraße 11, Berlin (Prenzlauer Berg)

** Un doute subsiste quand même… un de mes lecteurs aurait-il déjà mangé du hamster dans la Loire? Toutes informations bienvenues…