Comme dans « Friends ».
L’enfer, c’est les autres, disait Sartre. Une phrase que tous ceux qui ont connu la colocation mettent à leur compte. A Berlin, justement, la colocation est quasiment la règle. Les vastes appartements berlinois se partagent facilement, et le mode de vie nomade de la capitale allemande encourage le système des célèbres WG (Wohngemeinschaft, « communauté d’habitation »). On sous-loue une chambre pour un mois, et puis on s’en va. Moi, ça fait deux mois que j’ai sous mon toit une colocataire franchement étrange qu’il me faut nourrir comme un Tamagochi, sous peine de la voir dépérir…
Elle est toute menue, autrichienne, la trentaine, et ne porte que des décolletés plongeants. Son métier ? Elle fait des films de vampire. Tout ce que je n’aime pas. Du sang, de la pouffe en talons aiguilles, des dialogues dignes d’un roman de gare. Moi, je me passe du Kieslowski en boucle sur le projecteur. Genre existentialiste, quoi.
Elle écoute Joe Cocker, et moi, je me shoote à l’électro berlinoise. Elle lit des bouquins d’astrologie ; moi aussi, mais ce n’est pas pareil, moi je fais semblant de ne pas y croire. Elle ne remplace jamais le rouleau de PQ et elle a posé une moumoute violette sur la lunette des toilettes.
Elle lit « Vogue business » ou les histoires de femmes qui réussissent grave dans la vie. Style tailleur de tueuse et compte en banque bourré de dynamite. Moi, j’aime les histoires de loosers du type « Moon Palace » de Paul Auster, les histoires de marginaux qui ne savent pas où ils habitent.
Elle vit dans ses cartons depuis deux mois, environnée de fringues qu’elle ne peut plus mettre parce qu’elle a pris trois kilos à force de boire du vin blanc et de manger des pizzas en ma compagnie – il faudrait qu’elle achète un placard, mais elle n’a pas le temps parce qu’elle a un casting de draculas locaux à préparer.
Je vous parle de Jana, ma nouvelle colocataire.
Mais vraiment, le plus terrible avec Jana, c’est qu’elle mange n’importe quoi. Ouvrir le frigo vous donne des frissons d’épouvante : un vieux chou-fleur pas bio hante le bac à légumes depuis un mois. Une crème bizarre à base de truc marron (du chocolat?) et qui ne pourrit jamais survit dans un emballage de plastique à l’origine douteuse. Une casserole pleine de ketchup et d’une chose à moitié vivante a développé de quoi intéresser les chercheurs de l’institut Pasteur pour les cinq ans à venir. Alors, j’ai décidé de nourrir Jana, parce que j’avais trop peur de la voir piquer du nez un jour dans son assiette de spaghettis périmés.
Ah, la coloc! c’est l’enfer, vous diront beaucoup de Berlinois. Ici, les appartements sont tellement grands qu’on peut y vivre à cinq ou six sans problème. Cela permet de réduire drastiquement la part de loyer de chacun des habitants et de continuer à mener une vie d’artiste. A 250 euros de loyer pour un espace de 600 mètres carrés à se partager avec quelques farfelus, ça vaut la peine. La colocation est un mode de vie extrêmement répandu dans la capitale allemande. Pas un Berlinois qui ne l’ait expérimentée, avec plus ou moins de bonheur. Sur les sonnettes des immeubles, on peut voir le plus souvent cinq ou six noms pour un seul bouton à presser.
Ma copine Cécile (je vous en parle beaucoup, mais elle est intéressante) a mis au point une technique de colocation tout à fait curieuse. Elle sélectionne les types sur leurs capacités à être pas trop grands, discrets lorsqu’ils foulent le parquet et respectueux de rideau de douche. Elle leur pose des limites d’un mois de colocation – après, c’est dégage, va chercher ailleurs.
Le problème, c’est qu’ils ne sont jamais parfaits. Toujours trop grands, ils finissent éternellement par foutre le rideau de douche par terre et par casser son broyeur de chiottes. Et en plus, elle s’attache à eux, les uns derrière les autres, comme d’autant de chats sans toits. Pire, elle est tombée platoniquement amoureuse de presque tous ses colocs – un par mois, ça en fait des montagnes russes pour son pauvre cœur!
(Le dernier colocataire de Cécile a tout de même justifié la lourdeur de son pas ainsi : « ce n’est pas que je marche pesamment. C’est l’esprit de mon grand-père qui frappe sur le parquet. »)
Enfer ou pas, c’est sympa de vivre tous ensemble. L’hiver, quand la neige s’amoncelle par kilos au pied des portes berlinoises, les Allemands aiment bien se serrer les uns contre les autres devant un feu de cheminée. Même si pour ça, il faut accepter que Roberto, le coloc brésilien, s’obstine à mettre le rouleau de PQ à l’envers.
Enfer ou pas, j’ai fini par adorer ma coloc filmeuse de vampires. On ne se quitte plus. Qui l’eût cru?
Petite question aux Mondoblogueurs et aux lecteurs : comment se passe la colocation chez vous? Est-ce courant, est-ce une mode… et est-ce un enfer?
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