Noeud pap’ taxidermique, source ici chez mes copines de Semi-Domesticated
La fourrure et la hype berlinoise ne font pas bon ménage. Les fashionistas de la capitale allemande boycottent les bordures de capuches en coyote et les manchons de vison. J’ai justement le malheur de posséder un manteau en fausse fourrure qui me protège merveilleusement du froid et qui me vaut bien des mésaventures…
Il y a trois ans, quand je me suis installée à Berlin, j’ai eu un coup de cœur pour cette fausse fourrure de seconde main, qui attendait une nouvelle propriétaire depuis les années grises de la RDA sur un cintre poussiéreux, dans une brocante de Prenzlauer Berg. Ma fourrure bidon fait trois fois ma taille, elle hésite entre le gris et le blanc, je peux caler cinq couches de laine dessous et, avantage non négligeable par -5 degrés celsius, elle rend cool et sexy n’importe quelle tenue hivernale, même chaussée de Moon Boots.
En 2009, cette fausse fourrure ne m’attirait que des commentaires bienveillants, ainsi que des regards masculins empreints d’amabilité. En 2010, sans que je comprenne comment, la tendance s’est renversée. Dans le métro, je recevais des coups d’œil obliques, observais des hochements de tête négatifs. Un type me lança un jour: pauvre bête! tu n’as pas honte? ce qui me fit violemment monter la moutarde au nez.
Et toi, tes pompes, c’est pas de la vache peut-être?
Oui, mais ce n’est pas pareil, parce qu’on la mange aussi.
Eh bien moi, je bouffe du vison, rétorquai-je sottement, au lieu de lui répliquer que ma fourrure était fausse.
En passant devant le nouveau café végétarien de Neukölln, la serveuse me suivit d’un regard haineux derrière son comptoir à gâteaux sans œufs ni traces de coquilles de noix et je remarquai sur la porte un panneau écrit à la main: « Ici, les vêtements en fourrure ne sont PAS les bienvenus ». Bon ça va, j’ai compris. La haine du poil est partout, même s’il est synthétique.
Cette année, quand les frimas ont débarqué, je ne savais que faire devant ma bien aimée fausse fourrure. Te sortirais-je, ne te sortirais-je point? marmonnais-je perplexe. Dois-je céder au racisme anti-poil? Évidemment, je n’en fis rien. Il n’est pas encore né, le Berlinois donneur de leçons qui m’empêchera de me revêtir de ma peau d’hiver. Et puis flûte, un peu de provoc ne nuit jamais. Allons montrer ce que nous avons dans le bide à ces fachos du politiquement correct, murmurai-je à mon cher manteau avant de le glisser, réconfortant comme une peluche géante, sur mes épaules frigorifiées.
Deux amies suédoises, stylistes super branchouilles de Berlin, venaient juste de poster sur leur mur facebook: « NO FUR FASHION! » Ah, les garces! J’en fis fi, sortis la tête haute et décidai même, pour m’amuser, d’aller bouffer des crêpes vegan chez ma copine Diana au Sing Blackbird. Ce que ce serait marrant de voir les tronches déconfites de ses clients macrobiotiques élevés au grain devant mon insolente pelisse!
Je dus d’abord braver l’épreuve du métro, un moment toujours difficile pour une femme vêtue d’une peau de bête à Berlin. Je m’assis exprès près d’une jeune fille sur l’épaule de laquelle pendait un sac « FESTIVAL DU CINEMA ECOLOGIQUE D’ALLEMAGNE ». Sans tarder, la pintade me lança un regard à la fois indigné et épouvanté. Je sentais glisser sur mes poils synthétiques ses yeux qui lançaient des éclairs d’affolement. Si elle avait pu tirer la sonnette d’alarme pour arrêter le train et me faire descendre de force par les contrôleurs, elle l’aurait fait, sans aucun doute. Ma pelisse et moi, on se marrait d’un rire chaud et par en-dessous, comme un ours en hibernation qui rêve d’une bonne blague à faire au printemps.
Arrivée au Sing Blackbird, je me suis régalée des cris d’orfraie que poussait mon amie Diana, avant qu’elle ne s’aperçoive que mon manteau était issu d’un castor imaginaire et me serre dans ses bras, de soulagement. Devant mes délicieuses crêpes, je comptais les remarques désobligeantes murmurées sur la nature de mon manteau par des hipsters anglo-scandinaves à lunettes vintage et mèche faussement bordélique. Leurs petits pantalons moulants, leurs robes genre décalées, leurs chaussures compensées beige, rachetées à une grand-mère sur un marché aux puces un lendemain de nuit de défonce en club, me donnaient un peu envie de leur faire manger leur bonne conscience.
Et ton slip, il ne serait pas fait par un enfant au Bangladesh, par hasard?
Mais bon, je me taisais, sachant fort bien que ce genre de propos renforcerait ma réputation de Française chercheuse de noise dans ce Neukölln un peu trop bien peigné, qui commence à me filer de sérieuses pulsions de distribution de claques.
Ma pelisse et moi, on fend la bise en toute amitié, le poil brillant dans les rues de Berlin, et que celui qui vienne me faire la nique aille s’acheter des vêtements polaires polluants plus loin! Et tiens, puisque la provocation était réussie, j’ai ressorti la toque en fourrure, vraie celle-ci, héritée de mon aïeule polonaise. Et toc! Berlin au poil!
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