Gaston : Belge, et pourtant si Français.
Après Falbala chez les Goths, voici Gaston Lagaffe au pays des donneurs de leçons. La morale allemande est un mystère que je n’ai jamais bien pu percer, et qui affecte aussi bien la façon dont on fait la vaisselle, que la manière dont Angela Merkel traite les grandes banques. En bonne Gauloise gaffeuse, je me fais régulièrement gourmander par les Berlinois.
On ne traverse pas quand le bonhomme est rouge, on ne fait pas la vaisselle à l’eau courante, on ne prend pas le métro sans ticket, on ne fume pas devant des enfants, on ne monte pas sur la table pour danser à la fin du dîner,
Fais pas ci fais pas ça
À dada prout prout cadet
À cheval sur mon bidet
comme dirait notre Monsieur Dutronc bien de chez nous. Berlin, c’est libre, c’est un courant d’air. On peut se promener à poil dans les rues ; ce n’est pas un délit puni par la loi comme c’est le cas en France, et c’est même une tradition que de bronzer nu dans les parcs : cela s’appelle le FKK (Frei Körper Kultur, « la culture du corps libre »). Vous êtes gay? Pas de souci, on se balade la main dans la main et on s’embrasse goulûment devant des parvis d’église luthériennes. Vous aimez faire vos courses au supermarché vêtu d’un costume de mousquetaire? Aucun problème, il n’y en aura même pas un pour rigoler dans la queue à la caisse. C’est l’un des traits les plus sympathiques de la vie berlinoise.
Et quand, en 2010, Angela Merkel décide de choper par le colback les voyous de la finance qui planquent leurs comptes en Suisse, en achetant aux banques la liste de leurs clients allemands, j’applaudis à tout rompre (indépendamment de ce que je pense de sa politique par ailleurs).
En revanche, malappris de Français, veillez à ne jamais oser traverser quand le petit bonhomme est rouge. Un pas de travers et vous vous ferez écraser par l’automobiliste ravi de pouvoir vous montrer que vous êtes dans votre tort. Car si vous traversez au rouge, en Allemagne, et qu’un conducteur décide de rouler soudainement à 100 à l’heure en pleine ville pour être certain de ne pas vous louper, c’est vous qui paierez les frais de réparation de sa carrosserie. J’ai peu brillamment abordé ce sujet l’an dernier en me prenant une amende de 100 euros (voir ici).
Après presque trois ans de vie berlinoise, je ne me fais toujours pas à cette étrange forme de civisme qui, si elle a d’excellents côtés, me paraît coulée dans un moule en fonte indestructible et inamovible.
Voilà que l’autre jour, j’étais à la Mieterverein (association de défense des locataires, cf mon article précédent) avec ma colocataire autrichienne, Jana. Celle-ci m’expliquait qu’elle achetait ses tickets de métro mensuels sur Ebay, parce que ceux qui sont vendus dans les automates sont hors de prix. Je glisse un tuyau à Jana :
Mais non, va au centre BVG (l’équivalent de la RATP), dis-leur que tu es étudiante et hop, tu paies 20 euros de moins.
Jana se réjouit vivement à cette nouvelle, mais une vieille Allemande à dreadlocks, collier de hippie autour du cou, nous interrompt :
Encore faut-il prouver que tu es étudiante!
Non mais, de quoi je me mêle? Je me retourne vers la hippie pas si babos, et je lui explique que, oui Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance, Jana est bel et bien étudiante et que je ne suis pas en train de lui donner la recette des faux billets de 500 euros. La hippie-kapo se confond en excuses. Et puis d’abord, c’est poli d’écouter les conversations des autres, peut-être?
Aujourd’hui même, j’enfourche mon vélo pour me rendre à un rendez-vous, lorsque la nuit tombe brutalement. Merde, me dis-je, ça y est, c’est l’hiver. Il fait nuit à 17h. Or, la lampe de mon vélo est cassée depuis hier, sans doute parce qu’un abruti a essayé de me voler mon fidèle destrier, avant de s’apercevoir que mon cadenas était une véritable forteresse. Bah, tant pis, je n’ai pas envie d’être en retard, et je décide de pédaler quand même. C’était sans compter sur la présence beckettienne d’un ivrogne qui me lança, dans un allemand trébuchant aromatisé à la bière :
Hé, toi, il est où ton phare, hein? C’est interdit de rouler sans lumières!
Je me serais indignée si je n’avais pas pris note, dans un fou rire, de la façon dont le bonhomme traversait la rue, c’est-à-dire en zigzag et hors des clous. L’hôpital qui se fout de la charité.
Voilà, chers amis lecteurs, grossièrement peint, le portrait du moralisateur allemand (je sens qu’une fois de plus, je vais me prendre des torpilles dans les commentaires). Mon beau-frère, un Grec ayant longtemps vécu à Constance, dans le sud de l’Allemagne, m’a un jour résumé son point de vue avec beaucoup d’esprit : « après toutes ces années vécues en Grèce et en Allemagne, je ne sais pas ce qui m’irrite le plus. Le bordélisme grec, ou la discipline allemande? »
Bonne question. Pour ce qui est du bordélisme grec, pour aujourd’hui, je passe. Je laisse à RFI le soin de vous informer des rebondissements de cet haletant feuilleton économique européen, ici.
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