Ce pourrait bien être l’un des metteurs en scène du théâtre de demain. Juri Morasch, 26 ans, est né au Kazakhstan et vit en Allemagne depuis l’âge de cinq ans. Depuis 2010, il est l’un des jeunes assistants metteurs en scène du célèbre théâtre Gorki à Berlin, occupant ainsi une place très convoitée dans le paysage théâtral allemand. Dans cette maison dirigée par Armin Petras, l’un des metteurs en scène les plus demandés en Europe, Juri fait ses armes. Son rêve : écrire et diriger lui-même, et sous peu s’il vous plaît, ses propres pièces de théâtre.
Juri m’accueille deux heures avant la représentation de Das Prinzip Meese, une pièce d’un jeune auteur allemand, Oliver Kluk (30 ans), mise en scène par le non moins jeune Antú Romero Nunes (26 ans). Sur ce projet, qui parle des frustrations de la génération facebook-télé-chômage-stage – notre génération en somme! – Juri a donc assisté Antú. Je fais un travail de communication entre le metteur en scène, les acteurs et la technique, explique Juri. Je tiens le cahier de notes de la mise en scène et j’organise de ce qui doit se passer pendant les répétitions. Je peux aussi influencer les choix artistiques du spectacle.
Le job de Juri : s’assurer que tout roule sur le plateau – et en dehors…
Comment ce jeune Kazakh est-il arrivé là? Tout remonte au dix-huitième siècle, où Catherine II de Russie invita les populations allemandes à s’installer au Kazakhstan, alors une partie sous-peuplée de la Russie. La famille de Juri Morasch descend de ces émigrés germanophones, appelés couramment « Allemands de la Volga ». Après la Chute du Mur de Berlin en 1989, Helmut Kohl rappela les populations germanophones disséminées dans l’ex-URSS, les invitant à rejoindre une Allemagne en difficulté démographique. Les parents de Juri répondirent à l’appel. C’est ainsi que le jeune Kazakh passa sa jeunesse en Bavière.
Après son bac, inscrit à la fac de Brême en Allemagne, il commence le théâtre en amateur, et poursuit l’aventure à Moscou. C’est à Moscou qu’est née l’envie de faire du théâtre professionnellement, raconte Juri. Je suis parti en covoiturage pour Berlin avec Jörg Kozlowski, un acteur, qui m’a promis de m’aider. Je voulais moi aussi devenir comédien, mais je n’étais pas assez docile, et toutes les écoles nationales me rejetaient à cause de mon tempérament. C’est ainsi que j’ai compris que je voulais faire de la mise en scène.
Après plusieurs stages, dont un auprès de la metteur en scène Andrea Breth qui lui appris non seulement à apporter le café (il sourit), mais ce qu’était la précision sur une scène de théâtre, il se propose comme assistant à la mise en scène au Théâtre Gorki de Berlin. J’étais à une répétition d’une pièce de théâtre dansé à Brême et j’ai reçu un coup de fil de Berlin : « On te prend! » J’étais fou de joie.
Dans la cantine du théâtre, Juri fait rire les techniciens
Juri n’a pas la grosse tête. En faisant le tour du théâtre avec lui, il me semble qu’il s’entende avec chacun, plaisantant avec les techniciens, écoutant les demandes des costumières et des régisseurs de plateau. Mais il sait ce qu’il veut. M’exprimer, être un artiste. Être metteur en scène. Je crois que j’ai besoin d’apprendre pendant un an encore, mais pas plus. Il rit. C’est con, mon contrat d’assistant est signé pour deux ans. Je ne bouge pas d’ici! On m’a fait savoir qu’on appréciait mon travail. J’ai bon espoir de pouvoir monter mes pièces ici.
Et alors, Berlin dans tout ça? Je n’ai pas l’impression de vivre à Berlin! Je passe tout mon temps au théâtre ou chez moi, la nuit… Je ne connais que le chemin entre ces deux endroits. Je n’ai pas d’impression générale de la ville. Je ne fais que travailler, ça ne s’arrête jamais ici. Je me suis d’ailleurs séparé de ma petite amie. Je ne peux pas mener une relation sérieuse de front avec ce job.
Le temps de rêver et d’être libre, Juri aimerait pouvoir le prendre plus souvent, pour prendre le pouls de cette ville dont l’énergie créative, selon lui, est historique. Paris, Londres ou d’autres métropoles d’Europe ont une histoire continue. Berlin est une ville que l’on redécouvre. On sent cette histoire particulière, dues aux guerres et au Mur. Il y a beaucoup de laideur à Berlin, même dans le centre-ville, ce n’est pas une cité intouchable. Tout est donc possible. Ici, il n’y a pas de culture dominante, il y a simplement beaucoup de cultures différentes les unes des autres.
Un jeune assistant à la mise en scène qui monte, qui monte… dans les escaliers somptueux du théâtre Gorki
Juri m’abandonne un temps pour « aller faire son travail » : parler avec les comédiens et les techniciens avant la représentation, s’assurer que tout roule. Souplement, avec un sourire galant, il s’esquive. Pendant le spectacle, assis près de la régie, il surveille les moindres déplacements des acteurs avec un œil assuré. Après les applaudissements, comme je vais pour le féliciter, il me remercie chaudement et avec modestie. Vingt-six ans seulement et la gueule d’ange d’un gamin, Juri Morasch a pourtant bien la carrure d’un véritable metteur en scène.
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