Coucher de soleil à Venice Beach, Los Angeles, décembre 2015
Sous ce titre racoleur se cache un véritable dilemme, chers lecteurs : après sept ans de vie à Berlin – un véritable cycle mystique, n’est-ce pas – je me demande si Los Angeles, d’où je reviens tout juste, ne serait pas un bon point de départ pour une nouvelle phase de mon existence. Au-delà de ces déchirures métaphysiques, je vous rappelle que Los Angeles et Berlin sont jumelées (peu de gens le savent), et que chacune a bien des choses à apprendre de l’autre pour remporter le titre de la ville la plus geil* du monde. En prime à la fin de cet article, un petit carnet d’adresses angelino si vous décidez d’aller y faire un tour.
Nous sommes en janvier 2016 et je suis arrivée en janvier 2009 à Berlin, âgée de 27 ans et pleine d’espoir, avec deux valises énormes et un échange d’appart Paris-Berlin. J’ai appris l’allemand et la direction d’acteurs, monté une pièce de théâtre, fait mon master de scénariste dans une école prestigieuse, mais mon rêve de pénétrer l’industrie cinématographique allemande ne s’est pas vraiment réalisé, même si j’ai eu la chance de travailler sur de merveilleux projets documentaires. Ce rêve s’est d’ailleurs éteint, faisant place à d’autres.
Cela, c’est pour la bio officielle. La bio officieuse est pleine d’amours et d’amourettes internationales, de connards et de princes angéliques, d’amitiés violentes et passionnées avec des femmes folles comme moi, de nuits interminables, de cadavres de bouteilles de riesling, de musiciens échevelés, de rires éclatants dans les chiottes d’un bar à quatre heures du matin, de robes en lamées négociées dans des échoppes vintage et de camping moite au bord de la Baltique entourée de nudistes rougis par le soleil du Nord.
Après sept ans à Berlin, je suis capable de faire quelques conclusions qui ne concernent que moi, mais qui vous concernent quand même un peu, ami Français venu chercher ici la joie et la liberté, comme tout Gaulois normal qui ne peut plus supporter l’ignoble carcan chauviniste qui sévit actuellement de l’autre côté de la frontière (rires, rires). J’ai comparé ces réflexions à la vie à Los Angeles, telle que j’ai pu l’observer pendant plusieurs semaines entre 2014 et notre année nouvelle-née.
1. La langue
Premièrement, quoique l’on vous dise, à Berlin, on ne s’en sort pas sans parler le deutsch ; faute de quoi l’on reste coincé dans un tablier de serveur ou dans sa chaise de faux stagiaire sous-payé pendant de longues années, à tenter vainement de quoi se payer son entrée au Berghain. C’est ok à 20 ans, mais pas à 35, à moins de faire de la mdma un véritable style de vie et de se moquer de sa carrière. Aux Etats-Unis, on ne s’en sort pas non plus sans parler l’anglais, mais entre nous – peut-on comparer le niveau d’exigence linguistique dans ces deux pays ? Après sept ans, mon allemand est parfaitement courant mais, dans le cinéma allemand, on rechigne encore à engager quelqu’un dont on devra peut-être corriger la grammaire. Alors que les Ricains s’en tapent, particulièrement à L.A., qui est un véritable melting-pot.
2. La vie nocturne
En 2009, je trouvais cela génial de pouvoir fumer dans les bars berlinois. Maintenant, je trouve ça parfaitement immonde. Sérieusement, parmi toutes les drogues amusantes que notre pauvre humanité a créé, pourquoi choisir la cigarette, qui fait une haleine de chacal et ne vous donne pas l’once d’un high ? Bien, passons – je sens que certains d’entre-vous grognent et je comprends la puissance d’une addiction à laquelle je fus moi-même réduite. Qu’est-ce qui différencie un bar berlinois d’un bar angelino ? A première vue, pas grand-chose, en dehors de l’absence de fumée à L.A. : même ambiance fun, mêmes jeunes qui ont envie de s’amuser, même déco déglingue ou même déco branchouille, même très bonne musique, mêmes looks pointus, même folie en somme. Les consos sont moins chères à Berlin qu’à L.A., le bar berlinois ne ferme pas tandis que l’angelino ferme à 2 heures et Berlin n’a pas ces affreux écrans de télévision que les Américains s’usent à vouloir coller partout. Mais si vous y regardez d’un peu plus près… vous vous apercevrez que les gens sourient. Oui, ils sourient. Le barman sourit, la barmaid sourit, le physio sourit et les jeunes en tenue de lumière sourient. C’est ça, L.A. Les gens ne peuvent pas s’empêcher d’être heureux, il y fait bien trop beau. Et ceux qui pensent que ces sourires sont fake n’ont jamais mis les pieds en Californie. La Californie est la nouvelle mdma, elle vous met des paillettes d’amour dans les yeux.
3. Travailler
Je n’ai jamais travaillé à L.A. Mais j’ai passé sept ans à m’acharner à Berlin. On le sait tous, l’économie de la capitale allemande est une catastrophe ; l’absence de salaire minimum (il vient seulement d’être voté) et la présence du minijob à 400 € par mois fait le lit de tous les abus. Forte de trois diplômes et de trois langues, en tant que freelance, je suis encore obligée de négocier à la force de mes canines pour arracher des tarifs humains à la plupart de mes clients qui me servent toujours la même soupe : « mais enfin, vous vivez à Berlin, la vie est moins chère là-bas, non? » A les écouter, on pourrait croire que Berlin est au Chiapas. La semaine dernière, j’étais en train de descendre des shots de rhum avec un copain berlinois, un jeune acteur qui vit désormais à Los Angeles. Quand il m’a dit son salaire horaire en tant que serveur trois fois par semaine pour un traiteur très chic, j’ai failli m’évanouir. Oui, la vie est plus chère à Los Angeles, mais…
4. Les loyers
… mais même si son loyer est le triple de celui qu’il avait à Berlin, mon pote acteur gagne six fois plus que dans la capitale teutonne. J’ai bien dit six fois. Les loyers berlinois ne cessant de grimper et atteignant aujourd’hui des tarifs jamais vus de mes yeux vus (1000 € pour un deux-pièces en mauvais état, quand ce même appart’ coûtait 400 € il y a cinq ans), et les Berlinois touchant des salaires misérables, la vie à L.A., donc, est moins chère en proportion. En prime, à L.A., il y a des cactus et des palmiers dans la cour de l’immeuble.
5. Les gens
Ah, les gens, le coeur battant d’une ville ! Quiconque a déjà rencontré un Angelino se demande si sa gentillesse, sa façon de vous regarder dans les yeux quand il parle, de ne pas vous couper la parole et de vouloir payer l’addition est du lard ou du cochon. Une vie berlinoise vous habitue à essuyer les grognements prussiens, les regards pas francs du collier et les jugements castrateurs de nos amis germains. Toute expression de politesse peut paraître suspecte, après sept ans passés à vivre sans égards. Mais ici, les deux villes font match nul. Si les Angelinos sont adorables, chaleureux et bien élevés, les Berlinois sont des troufions ; mais ils ont reçu la grâce de la sincérité et de la fidélité à toute épreuve. Los Angeles est obsédée par sa propre beauté et sa propre ambition, tandis que Berlin roucoule encore avec elle-même, berçant ses artistes dans une pauvreté temporairement propice à la création. Dommage qu’elle ne sache pas retenir ses enfants en les récompensant un peu plus largement.
Vous l’aurez compris, il n’est pas vraiment question d’un match ici, mais simplement d’une comparaison à l’aube d’une nouvelle étape de ma vie et de ma carrière. Après m’être gorgée de lumière californienne, après avoir admiré bien des couchers de soleil à Venice Beach, après avoir passé une partie de mon hiver en maillot de bain et en futal de Spandex, je me demandais, avant-hier en débarquant à Tegel, si je pourrais supporter de nouveau la vie berlinoise ; le froid, mon proprio hystérique qui veut me virer pour louer mon appart deux fois plus cher et les grognements des barmen en lieu et place de ce How are you doing today? rayonnant que l’on vous sert de l’autre côté du comptoir et de l’autre côté de l’Atlantique.
La réponse est oui, cher lecteurs, je suis toujours éprise de Berlin comme je l’étais il y a sept ans. Je suis montée dans le bus TXL avec ma valise monstre et j’ai respiré l’air frais du Nord apportant la neige dans un ciel bleu et acéré et j’ai su tout de suite que partir définitivement d’ici serait un mensonge. Même si je quittais Berlin, j’y reviendrais un jour ; elle a ce petit quelque chose indéfinissable qui fait les grandes maîtresses.
The Last Bookstore, Downtown Los Angeles
LES BONNES ADRESSES DE MANON A LOS ANGELES
The Whee Chippy : les meilleures frites de l’univers, sans blague ! Coupées largement, au coeur de la patate fondante, avec la peau craquante et sautées dans une huile de truffe… à déguster les pieds dans le sable de Venice Beach, tout cela pour 4,50 dollars… j’en pleurerais tant je suis en manque. 1301 Ocean Front Walk, Ste 9, Los Angeles, Venice
Cha Cha Lounge : un bar à la mexicaine où se rassemblent les barjots de Silver Lake. Branché, fou, parfumé à la tequila, tellement caliente avec ses néons roses et son photomaton où l’on pose ivre mort. Les consos ne sont pas terribles, mais on n’est pas là pour faire dans la dentelle. 2375 Glendale Blvd, Los Angeles, Silver Lake
The Troubadour : un bar à concerts mythique où sont passés bien des groupes de rock indé légendaires avant d’accéder à la postérité. 9081 Santa Monica Blvd, West Hollywood
Cielito Lindo : le quartier historique de Los Angeles est mexicain. Dans Olvera Street, où bat le coeur de la ville mexicaine, vous verrez la première maison de Los Angeles et, non loin, la première église de la ville. Et Cielito Lindo, le boui-boui à taquitos (tortilla roulée et fourrée à la viande) le plus ancien de la rue… et aussi le meilleur ! E-23 Olvera St, Ste E, Los Angeles, Downtown
The Last Bookstore : merveilleuse librairie sur deux étages dans laquelle il faut passer sous des tunnels et des ponts de livres pour dénicher la perle rare… beaucoup d’ouvrages d’occasion à prix cassés. 453 S Spring St, Los Angeles, Downtown
Historical Monument 157 : en dépit de son nom, c’est une salle de concert. L’ambiance de cette vieille et belle maison de 1900, occupée par un collectif d’artistes, vous rappellera les nuits bohèmes berlinoises. Excellents concerts et performances déjantées, pour des nuits underground interminables. 3110 N Broadway, Los Angeles, Lincoln Heights
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