Y a vraiment que sur les pubs de l’office du tourisme que les parents ont l’air contents de venir à Berlin. (Source photo VisitBerlin.de)
Après cinq ans de vie à Berlin, je me demande encore pourquoi mes parents ne viennent jamais me rendre visite. Tentative de décryptage psychanalytique du parent berlinophobe.
C’est en lisant cet article (fort amusant d’ailleurs), Ten things you can do when your parents visit you in Berlin, que je me suis rendu compte que je n’étais pas seule au monde : les parents de Sara, journaliste chez Finding Berlin, ne lui ont jamais rendu visite non plus. En cinq ans, mon père m’a gratifiée d’une seule et unique visite de trois jours. Quant à ma mère, elle n’est tout bonnement jamais venue. Pourquoi, pourquoi, pourquoi, docteur? Décryptage des raisons avancées par mes darons.
1. « J’ai pas le temps »
Mes parents sont à la retraite. Comme chacun sait, personne n’est plus occupé qu’un retraité. Un retraité est toujours débordé. C’est hallucinant. Depuis que mon père a cessé de bosser, il est obsédé par son patrimoine immobilier, sa paperasserie et les courses au supermarché. Quant à ma mère, elle a ses plantes à semer avant que le gazon ne prenne plus, son potager demande de l’entretien et elle a une réunion d’enfants des Compagnons de l’Ordre de la Libération le 29, donc elle ne peut pas venir. Et après la réunion? Après la réunion, elle va voir ma soeur et ses mômes en Grèce. Conclusion : « J’ai pas le temps » signifie tout simplement « j’ai pas le temps de te voir toi à Berlin« .
2. « Ta mère risque une thrombose en avion avec sa mauvaise circulation sanguine »
Mais ça ne l’empêche pas de faire trois heures de vol pour rendre visite à ma frangine à Athènes, cf plus haut. J’évoque diplomatiquement la poésie languide du train, le paysage défilant doucement sous les yeux, rappelant le temps heureux où l’on prenait le temps de prendre le temps, les livres lus dans cette parenthèse bienvenue au milieu de nos vies frénétiques… Les innombrables bienfaits écologiques du train comparés à l’avion… Mes darons poussent des cris d’orfraie : « Quoi! huit heures! on a autre chose à foutre ». Ah oui, zut, j’oubliais, c’est vrai qu’ils sont débordés!
3. « Je peux pas, je garde ta nièce pendant que ton frère est en voyage d’affaires »
Ah. AH. AH! Là, nous touchons un début de commencement de reproche sous-jacent et à couches multiples : d’une part, tu n’as pas d’enfants, d’autre part, tu ne fais pas d’affaires, ma petite fille blogueuse – cinéaste – journaliste. Mais la perspective de faire des chiards et de bosser dans le marketing d’une boîte de pneus comme mon frère, à la seule fin de faire venir mes parents à Berlin, est parfaitement inenvisageable. Parce que justement, je suis venue à Berlin pour être libre, célibataire et free-lance sous-payée.
4. « Berlin, c’est sinistre »
Ma mère a vécu à Berlin à la fin des années 60. Mon grand-père était militaire diplomate et toute la smala se baladait d’ambassade en caserne dans des bagnoles à chauffeur, de bal mondain en courses au KaDeWe et tout le tralala. Ma mère était même tombée follement amoureuse d’un beau jeune homme est-allemand (union fortement réprimandée par sa famille évidemment). Donc ma mère se rappelle Berlin à une époque où le Mur régnait sur la ville et où, quand elle passait du côté Est, la vue de « ces pauvres gens engoncés dans des manteaux gris de mauvaise coupe, affrontant la bise dans des avenues immenses et vides » lui brisait le coeur. C’était en 1967, nous sommes en 2014, Berlin est devenue la destination touristique numéro un d’Europe, mais non, ma mère n’en démordra pas, à Berlin, c’est encore la Guerre froide.
5. « Berlin, c’est moche »
Ma mère ne comprend pas non plus le charme du Plattenbau, du béton et la poésie post-communiste qui se dégage de Berlin. Elle est insensible aux charmants atours des squats (ou ce qu’il en reste), des bords industriels et déserts de la Spree. Ce qu’elle aime, c’est l’architecture Renaissance de Florence, les ravissantes rues de Lisbonne et bien sûr Paris, « la plus belle ville du monde », évidemment. Il me semble pourtant qu’elle ne viendrait pas à Berlin pour faire du tourisme neuneu, mais pour voir où et comment sa chair et son sang vivent depuis cinq ans. Ce que je comprends, moi, c’est qu’elle préfèrerait sans doute ne pas savoir que Berlin, c’est peut-être moche, mais c’est surtout plus grand, plus spacieux, plus vivant et que j’ai peut-être fait – pour une fois dans ma vie – un bon choix?
6. « De toute façon, tu viens tout le temps à Paris »
J’avoue que je n’ai pas grand-chose à répondre à ça. Je pense que si, de mon côté, je n’avais pas visité la nouvelle maison de mes parents en Bourgogne et que je ne m’étais point pâmée devant leur agencement de meubles et de tableaux, j’aurais eu droit à une crise d’apoplexie.
Soyons sérieux. La réalité qui se cache derrière toutes ces raisons fumeuses, mes chers amis, c’est que mes parents font de la résistance psychologique inconsciente au fait que je les ai « quittés » pour partir vivre à l’étranger. Chez les Boches, en plus!
Mais c’est peut-être parce que nos parents ne viennent pas que Berlin reste notre ville? Et que nous sommes la Génération Berlin? Loin du joug de la réussite sociale et de la reproduction sexuelle obligatoires insidieusement imposées par les petites réflexions systématiques de ces rejetons des Trente Glorieuses, qui n’ont toujours pas compris que la jeunesse d’aujourd’hui rame pour payer des loyers monstrueux et se faire chier dans des jobs à 1000 euros le mois, cultivons notre terrain de jeux propice aux arts et à toutes les bêtises…
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