Voilà deux mois que je ne vous ai pas écrit de billet, chers lecteurs. Entre Paris et Berlin depuis deux mois, je ne sais pas comment vous parler d’une ville où je ne vis presque plus. L’entre-deux à l’heure européenne, au temps de la 4G, de Skype et des amours virtuelles, est-ce que ça peut marcher?
Un jour, il y a cinq ans, j’ai déménagé à Berlin sur un coup de tête, dans une rue de Kreuzberg. Mes deux valises étaient si lourdes que l’une avait craqué dans la soute de l’avion. Je déménageais un 31 décembre et je ne connaissais presque personne qui aurait pu me filer un coup de main. J’ai monté mes affaires une à une, quatre étages, dans cet appartement vide et spacieux qui était désormais mon nouveau nid.
J’ai vécu la fête berlinoise très vite (bien sûr), les amitiés, l’apprentissage bordélique de l’allemand, la rencontre avec un grand amour, la rupture sanglante, les jobs pourris, les succès. La pauvreté totale, puis les petits coups de bol où l’on se sent riche. La stabilité, jamais – la stabilité, ce n’est pas vraiment à Berlin qu’on peut la trouver lorsqu’on est une jeune artiste célibataire et sans enfant. Et c’est peut-être bien comme ça aussi.
A trente-trois ans, mon rythme de travail s’accélère et je suis en train de préparer mon premier vrai film de fiction, que je tournerai cet été en Bourgogne, le pays d’où je viens. Berlin, sa liberté, ses nuits effrénées, mais aussi son désespoir (je vous en parlais il y a quelques temps) ne correspondent plus à l’intensité de mon métier de réalisatrice. Le cinéma allemand ne me parle pas et je louche sur les programmations des cinémas d’art et d’essai français avec envie lorsque je suis dans mes pénates berlinoises. Qu’est-ce qui fait que cette énergie berlinoise me donne récemment le sentiment d’avoir des chaussures de plomb, moi qui ai été si heureuse dans ma ville d’adoption allemande?
Pour l’instant, j’essaie encore de concilier les deux. Mais après deux mois presque intégralement passés en France, revenir à Berlin me fait presque peur. La lourdeur de la nuit, des drogues et de la glande, des velléités de beaucoup de Berlinois me minent le moral. Comme tout un chacun, je hais bien sûr le métro parisien, les gens qui font la gueule, les prix faramineux, les loyers immondes et les apparts en forme de clapier à lapins. Mais il suffit que je me promène au jardin du Luxembourg pour retomber amoureuse de la France. Il me suffit d’écouter les brèves de comptoir dans un petit bar du 14e pour avoir envie de rire de cet esprit franchouillard inimitable. Il suffit que je me blottisse dans le fauteuil rouge d’une minuscule salle de cinéma pour regarder un vieux film pour me sentir revivre. Pour autant, je n’oublierais jamais la douceur de vivre berlinoise – à nulle autre pareille en Europe.
Je travaille par Skype avec mes producteurs, je prends l’avion plusieurs fois par mois. J’écris en français, mais je parle allemand avec mon caméraman. Je paie mes impôts allemands avec de l’argent français. Une vie d’entre-deux. Les amours aussi, entre-deux. Ce n’est pas tant le bordel que ça. C’est moderne. C’est 2014.
Mon ami A. appelle mon état « l’entre-deux ». Il me demande de faire un choix. Mais n’avez-vous jamais eu deux amours? J’aime le cinéma et j’aime la musique tout autant. J’aime mon père et ma mère tout autant. Et j’aime Berlin et Paris avec la même passion à la fois tendre et hargneuse.
Voilà pourquoi, amis lecteurs, mes billets de blog se font bien rares. Il est peut-être temps d’envisager de le faire évoluer vers une autre écriture. Cela fait un moment que je projette de réunir une série de textes écrits sur Berlin dans un ouvrage. Ich halte euch auf dem Laufenden (la phrase que j’ai eu le plus de mal à apprendre en 2009, « je vous tiens au courant »…)
Commentaires