https://www.youtube.com/watch?v=kzNIYnxinDU
Un exemple parmi d’autres d’humour deutsch. Avec des sous-titres en anglais pour les paresseux.
Il paraît que les Allemands n’ont pas d’humour. Est-ce vraiment possible qu’un peuple tout entier ne sache se gausser ? Après quatre ans et demi de vie berlinoise, mon humble personne tendrait presque à confirmer cette thèse désagréable, avec quelques éclatantes exceptions toutefois. Voici un court essai sur la question. Il est parfaitement empirique et se prête à toutes les attaques, qui ne sauraient tarder, si j’en crois l’ambiance actuelle dans les commentaires de ce blog. Tirez vos roquettes
Tout d’abord, me direz-vous, pour comprendre l’humour allemand, il faut comprendre la langue allemande. C’est chose faite. Mais même avec un bon niveau, je ne perçois toujours pas les subtilités (ou les absences de subtilité) des blagues teutonnes. Prenons, par exemple, une légende de l’humour allemand, Loriot. Cet humoriste qui fit la joie des Germains pendant presque quarante ans n’a jamais écrit un sketch qui me fasse marrer. Jamais. Cf la vidéo ci-dessus, célébrissime, que je n’ai jamais, au grand jamais, trouvée drôle. Je l’ai montrée à des Français, à des Anglais, à des Espagnols et tout le monde bâillait à la fin. Allez comprendre.
Avez-vous déjà vu un Allemand éclater de rire, à s’en rouler par terre, à s’en tenir les côtes? Avez-vous déjà entendu une plaisanterie allemande qui vous file le fou rire? Moi, non. Ce n’est pas que l’Allemand n’a pas d’humour, c’est plutôt qu’il a un humour pataud par rapport aux standards internationaux. Je vous renvoie au film Voll normal (« Grave normal ») considéré par beaucoup de jeunes Allemands comme leur Bronzés national, soit le summum de l’humour germain. Grotesque, balourd, kitsch à mort. Aucun second degré.
Mais qu’est-ce qu’il se passe chez nos Deutsch préférés? Pourquoi ne savent-ils donc pas prendre la vie avec légèreté? Pourquoi une petite plaisanterie lancée pour détendre l’atmosphère est-elle considérée comme un crime de lèse-majesté à la morale et à la vie en collectivité? Prenons un exemple. J’étais au club Wilde Renate, considéré comme un haut lieu de bohème, n’est-ce pas – un lieu débridé, où tout ou presque est permis, un lieu de fête. Sur le mur se dessinait une ombre délicate portée par une cage à oiseau accrochée au plafond. La lumière était splendide. Je voulais filmer cet instant, cette ombre, avec mon téléphone portable, pour ma collection d’idées visuelles. C’est souvent ainsi que je compose les images de mes films.
Mais soudain le barman, un gamin de vingt-deux ans blond et joli comme le Petit Prince, me lance d’un ton sec et réprobateur que je n’ai pas le droit de filmer. Je me retourne, lui adresse un sourire et risque une blague :
Oh, désolée, mais ne t’inquiète pas, l’ombre m’a cédé son droit à l’image…
Le Petit Prince ne sourit même pas, il me regarde comme si j’étais complètement tarée.
Non, tu n’as pas le droit de filmer, c’est la règle!
C’est la règle… la phrase préférée de nos amis allemands. Chaque fois que je l’entends, j’ai l’impression de me faire taper sur les doigts par l’instit’ du CE2. Quand vous entendez « c’est la règle », cessez bien vite de plaisanter ou vous vous retrouverez au poste. J’ai rangé mon téléphone portable et je suis allée faire des choses autorisées (prendre de la drogue, boire jusqu’à ce que mon foie éclate, m’envoyer en l’air avec des types dans les toilettes…).
L’humour est souvent considéré par les Allemands comme un odieux mensonge, un détournement de la réalité. Ainsi, un beau jeune homme que je fréquentais il y a deux ans m’a reproché vertement de ne pas toujours raconter la stricte vérité sur mon blog. Pour lui, ce n’était pas une attitude digne. Ouais, mais c’est plus marrant en forçant un peu le trait, fut ma malencontreuse réponse, déclenchant un torrent de reproches moraux.
Ach, comme j’aimerais pouvoir rigoler un bon coup avec les Germains. Cela m’est arrivé toutefois. Il y a quelques années, j’étais invitée à une avant-première au cinéma. Le réalisateur, rencontré quelques jours plus tôt à la Berlinale, était assez connu et, ma foi, une personne gentille et fort humble en dépit de son aura sociale. Hélas, il avait oublié mon prénom et celui de l’amie qui m’accompagnait.
Jey, Jey, Jey… Jessica! dit-il ainsi au lieu de Jennifer, qui le corrigea gentiment. Puis il se tourna vers moi. Ma, Ma, Ma…
Parfaitement inconsciente, je le regardai droit dans les yeux et lançai
A, A, A… attends… Adolf, c’est ça!
Les courtisans qui entouraient le réalisateur se pétrifièrent. Le type était lui-même bouche bée. Je sentais que j’avais fait la pire blague de toute ma vie d’expatriée. LA blague interdite en Allemagne. Une promesse d’enfer, d’exclusion de la bonne société cinématographique berlinoise, peut-être même un rapatriement forcé en Bourgogne, merde… Mais l’heureux réalisateur éclata soudain de rire, me tapa dans le dos et s’écria:
Bien envoyé! Tu veux être mon Eva ce soir?
Et toute la cour de se détendre en une onde salvatrice de gloussements soulagés.
Et puis il y a eu d’autres exceptions. Des Allemands de Cologne, mais oui Madame. Je n’ai jamais autant ri en Allemagne qu’à Cologne ou en compagnie de ses natifs, comme je le racontais ici. Il faut bien dire que Cologne est tout près de la frontière française, hein. (Je vais me faire engueuler, je le sens.)
Oui oui, je vous rassure, il y a PLEIN d’Allemands qui ont beaucoup d’humour. Et puis, l’humour ne fait pas le moine. L’humour ne fait pas de vous un être meilleur. Bien au contraire. Bien des connards qui peuplent notre Terre ont un humour formidable. Berlusconi est hilarant, il suffit de regarder ses interventions télévisuelles. Il paraît que Le Pen est très divertissant dans les soirées mondaines. Les Allemands, eux, sont des êtres civilisés assez supérieurs, ils sont plus gentils, plus courageux, plus positifs, moins égoïstes, moins égocentriques et moins arrogants que les Français – et bien d’autres nationalités encore. Mais ils ont (un peu) moins d’humour. Voilà, c’est tout, c’est dit.
Et je suis certaine que beaucoup d’Allemands vont prendre cet article avec humour. Oder?
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