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Comment Melt m'a fait fondre le cerveau*

Melt 2013 - Samstag

* appréciez le détestable jeu de mots s’il vous plaît… de melt, fondre en anglais… extrêmement drôle, bravo Manon! – pardon

La semaine dernière, j’ai passé trois jours au festival Melt, à une heure et demie de Berlin. Une programmation très électro, un soleil de plomb, beaucoup de mini-shorts en jean et des tentes surchauffées à perte de vue. En revenir est comme survivre à Koh-Lanta : on se sent heureux, déconnecté et… décérébré.

Tous les mélomanes qui me lisent vont se gausser : comment Manon, en quatre ans de vie berlinoise, tu n’étais jamais allée à Melt ? Eh bien, nom de nom, tous les étés, je tournais, mes agneaux. Voilà pourquoi j’avais toujours raté cette grande messe de la musique électronique que l’Europe entière célèbre près de Berlin, au bord d’un lac somptueux, à Ferropolis, une ancienne mine de fer de l’Allemagne de l’Est.

Figurez-vous qu’en mai, je me faisais coiffer par ma copine Julie aux doigts de fée, dans son salon fort recommandable, l’Atelier. Une coupe réussie et un verre de vin blanc nous donnèrent l’idée de « faire Melt » ensemble, entre filles. En un coup de ciseau, nous avions acheté et imprimé nos billets. Un line-up sexy : The Knife, Woodkid, Moderat, James Blake, Ellen Allien, Alt-J, etc.

Hélas, peu avant le départ, Julie a du quitter Berlin pour quelques temps – et me voilà entourée d’une bande de six mâles munis de nombreuses caisses de bière et d’une certaine envie de retrousser la jupe de la gueuse de festoche. Point de trip bikini-féminin de plage pour moi, en l’absence de ma partenaire de jeux.

Il nous fallut d’abord planquer ma tente dans les caleçons de ces divers messieurs afin que je puisse pénétrer sur la terre sacrée. En effet, les autorités meltiennes refusaient que je plante un champignon de nylon jaune de plus au milieu du monceau de tentes géantes accumulées sur le camping du festival. Mon abri de randonneuse du dimanche s’est retrouvé coincé entre la tente militaire d’une bande de soldats de la Ruhr et d’un trou à ordures véritablement enchanteur. Peu importe. Je ne voulais pas louper James Blake et engloutis à la hâte une vodka-citron bouillante, en l’absence de glacière, après avoir fait connaissance avec mes voisins ivres morts :

– Eh, dis, pourquoi est-ce que vous, les Français, vous ne nous aimez pas, nous, les Allemands?, me rota au visage l’un de ces charmants jeunes hommes aux muscles surdéveloppés.

– Hein? Ben non, je vous aime bien, moi. 

– Non, dans la Ruhr, ils nous appellent les Kartoffel (les patates)…

– Ah bon, je suis désolée… tu veux une vodka?

De toute façon, James Blake était à vingt-cinq minutes de ma tente et de son trou à ordures – je m’empressais alors de pinter la gueule de mon voisin de bivouac pour pouvoir m’esquiver pour le concert de The Knife.

« Le concert de The Knife ». Ma foi, appelons plutôt cela un « concert qui te rit au nez » – car The Knife n’a pas touché à ses instruments. Non, The Knife a préféré danser et mettre sa musique en playback. C’était déroutant, mais c’était bien. Après tout, cela donnait une nouvelle perspective à l’idée même du « live ». Pourquoi, au fond, un groupe ne pourrait-il pas se concevoir aussi comme un concept qui produits des spectacles extrêmement divertissants de danse et de lumière?

Le seul vrai concert, en l’occurrence, pour moi, c’était celui de Woodkid, le samedi soir. Lyrique, enflammé, sombre et passionné, comme l’est la voix grave et fragile de ce chanteur audacieux. Pour le reste, Melt fut à mes yeux une sorte d’open-air gigantesque munie de cinq scènes sur lesquelles les DJs se battaient pour faire vibrer leur public sans doute un peu blasé. Deux d’entre eux, plutôt jeunes sur la scène électro, m’ont fait guincher sur la plage jusqu’au lever du soleil : JETS, un duo glamour qui aime mélanger le hip-hop à la techno, l’électroclash à l’ambiant. Bien joué.

Au fur et à mesure que les heures défilaient, ces heures blanches et sans sommeil sous le soleil torride, je voyais le cerveau de mes compagnons masculins fondre dans leurs orbites écarquillées par la fatigue et le désir. Ces messieurs cherchaient dans la foule des proies rendues vulnérables par l’ingestion d’alcool et de drogues de l’amour, suivez mon regard. Les plus gentlemen d’entre eux tournaient leurs yeux hagards en direction de troupeaux de gazelles à peine couvertes de coups de soleil sous leurs tenues légères. De bien mauvais chasseurs, à en croire les bonds effrayés que faisait le gibier féminin à leur approche.

Le samedi soir, en l’absence d’une réconfortante présence féminine, et après avoir du subir moi-même de scandaleuses demande de visites sous la tente, je décidai de m’enivrer à coups de mojitos au champagne, qui coûtaient presque le même prix que la bière et m’étaient servis par une fille compatissante. Après avoir atteint mon objectif, armée d’un pistolet à eau, je m’en pris aux couples qui s’enlaçaient dans l’herbe et aux groupes de potes qui prenaient des photos en duck-faceant sur la plage. 

Dieu sait comment je me suis ensuite retrouvée backstage à m’empoigner avec deux groupies coiffées de plumes d’indien qui tentaient de passer commande avant moi. La honte m’étreint. Dieu me tripote comme disait Desproges.

Dans la voiture du retour, personne ne pipait mot. Nos cerveaux fondus se complaisaient à écouter du reggae dans l’autoradio, ce qui est grave. Une semaine après, je dors encore douze heures par nuit. Dieu me tripote et me pardonne, je ne retournerai sans doute jamais à Melt, préférant l’intimité confortable d’une bonne salle de concert pourvue d’une station de métro capable de me transporter chez moi après avoir applaudi un groupe. Dieu me chatouille, je n’irai pas non plus à Fusion, je l’avoue sans honte. Je garde ma tente pour en faire une cabane dans le jardin de mes neveux. Bref, la conclusion pénible de cette fonte de cerveau, chers lecteurs, est la suivante : j’ai vieilli. 

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Auteur·e

manon

Commentaires

Limoune
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Bienvenue au Club des vieilles. Amusant ce billet. Si tu veux re-tenter l'expérience puissance 10 et tester ton hormone de vieillesse, file dans le sud de la Norvège au mois de juin ;)

Manon
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où ça?

Yanik
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Si cela peut te consoler, on vieillit tous...mais il parait que l’absorption régulière de mojito ralentit le processus !
Merci de nous avoir fait partager cette aventure.

Alina Savin
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After some years in New Zealand, in 5 weeks I will be back in Berlin, a city I love so much. I have followed your blog for a long time, and I wanted to thank you for keeping me updated with all things beautiful in this splendid city! It gave me so much inspiration for my own work! Danke! Alina