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Mini-rallye Berlin-Dakar

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A l’université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal

L’influence allemande au Sénégal : ici, à Dakar, pendant la grande rencontre RFI- Mondoblog qui réunit 51 blogueurs francophones, bien de mes petits camarades ont ri au nez de mon sujet. Certes. Et pourtant, chers amis lecteurs, vous qui êtes des fous de Berlin, et, pour les plus téméraires, de véritables amoureux de l’Allemagne, sachez que vous avez quelques copains germanophiles, ici, à Dakar. Pérégrinations teutonnes au pays de Senghor

Ma première étape sur la route du Sénégal germanophile commence à la célèbre Université Cheikh Anta Diop, au Département langues et civilisations germaniques. Omar, 25 ans et en deuxième année d’allemand, accepte de répondre à mes naïves questions. S’il apprend l’allemand, dit-il, c’est d’abord par amour de la langue, «surtout la grammaire». Un peu maso, Omar ? Peut-être, oui, comme Alima et Maïmouna, 22 ans chacune, étudiantes en première année, qui chérissent tout autant la grammaire teutonne.

Avec une certaine perversité, je tente d’arracher à ces jeunes germanophiles un aveu économique. Ne serait-ce pas plutôt pour aller chercher fortune au pays de Frau Merkel que ces jeunes ambitieux s’échinent à apprendre la langue de Goethe ? Eh bien non, même pas. Tous se destinent à une carrière de professeur d’allemand… au Sénégal, après une thèse qu’ils aimeraient effectuer dans une université allemande, Berlin en tête. L’apprentissage de l’allemand offre encore peu d’autres débouchés pour les étudiants, comme le souligne le jeune professeur Louis N’Dong. Comme son vénérable collègue Mamadiou Diop, qui adore Berlin et enseigne l’allemand depuis trente ans, M. N’Dong a choisi sa carrière « par amour de la langue ».

Tant de lyrisme pour la langue de la plus grande puissance économique européenne ! J’ai eu envie de creuser un peu plus l’aspect prosaïque de la présence allemande en terre sénégalaise. J’ai retrouvé Ute Bocandé, à la Fondation Konrad-Adenauer, sous l’ombre bienfaisante d’un somptueux manguier. Cette institution allemande puissante est idéologiquement rattachée à la CDU et se présente comme un outil de formation politique dans les nombreux pays du monde dans lesquelles elle est implantée. Formation des élus locaux, promotion de l’économie sociale de marché, soutien à la formation des journalistes, aux groupes de femmes… La KAS, comme on l’appelle gentiment, dispense son aide là où la démocratie doit être renforcée.

Je demande à Mme Bocandé si elle estime que les Sénégalais sont attirés par l’Allemagne. «Oh oui, bien sûr ! Tout d’abord, il y a le football, les matchs sont retransmis », répond-elle dans un éclat de rire. « Mais ce sont aussi les bonnes performances économiques de l’Allemagne malgré la crise de l’euro, et le fait que ce soit un pays de liberté, où l’expression démocratique est bien ancrée, un pays où il fait bon vivre ». Pourtant, Mme Bocandé ne croit pas à une future vague d’immigration sénégalaise vers l’Allemagne. « La langue est un obstacle ».

L’intérêt grandissant des Sénégalais pour le deutsch encore si méprisé de bien des expats français fait que les classes de l’Institut Goethe, à Dakar, croulent sous les demandes d’inscription. D’ailleurs, on ne fait pas qu’apprendre l’allemand au Goethe – c’est un peu un des seuls endroits de Dakar où l’on peut échapper à la pollution, au bruit et au harcèlement marchand.

A l’Institut Goethe, tout, du cinéma à Internet en passant par les conférences, est gratuit pour les Sénégalais. L’incarnation de ce « pays où il fait bon vivre » ? Sur une terrasse à 180 degrés, les étudiants, les enfants, les vieux, tous peuvent venir utiliser le wifi (denrée encore rare à Dakar) sur des Ipads flambants neufs, lire «Die Zeit » ou surfer sur Facebook.  « Ici, on est bien pour réviser, il n’y a pas de bruit… et la vue sur Dakar! », me confie un étudiant sénégalais.

« Nous ne voulons plus germaniser le monde! » s’écrie l’homme qui est à l’oeuvre derrière ce petit havre de paix moderne. Michael Jeismann, le nouveau et dynamique directeur de l’Institut, a mis la collaboration avec les Sénégalais au cœur de son dispositif culturel. Le café littéraire de l’Institut Goethe invite des auteurs sénégalais qui, bien que célèbres dans toute la francophonie, ne trouvent aucun lieu pour s’exprimer dans leur propre pays. « Malheureusement, nous sommes trop souvent le substitut des structures étatiques manquantes », souligne M. Jeismann.

Pas d’influence allemande au Sénégal? Peut-être pas beaucoup si on la compare à la française, camarades Mondoblogueurs. Mais rira bien qui rira le dernier : la réputation de Madame Merkel et de la bière teutonne traverse les continents… à la vitesse du wifi du Goethe Institut.

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manon

Commentaires

Morille
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Chouette article, Heugelein! Moi aussi j'aimerais bien me prélasser dans l'ombre bienfaisante d'un somptueux manguier un jour.

Prisca
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L'un de mes premiers profs d'allemand au lycée était sénégalais, marié à une Allemande, établi en Suisse romande. Il nous déclamait l'appel du 18 juin avec son accent délicieux. Il adorait la culture, les cultures, allemande, française, sénégalaise. Il m'a appris le mot négritude.

J'ai ensuite étudié la romanistique à Berlin, pour poursuivre dans cette approche interculturelle que M. Sadio m'avait fait découvrir. Je suis allée lui rendre visite pour le remercier de tout ce qu'il m'avait apporté. Il est mort peu après. Il n'a jamais su que j'étais devenue traductrice allemand-français et que quand on me demande "pourquoi l'allemand"; je réponds depuis plus de 30 ans: pour Bach, Nina Hagen et M. Sadio.

manon
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Quelle belle histoire Prisca! Vraiment émouvante. Merci

Oscense
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Merci pour ce petit reportage, c'était un sujet original et intéressant en effet :)