(*Partytier = « animal de fête » en allemand)
La vie nocturne berlinoise est sans répit. Il y a quelques temps je me demandais si je n’allais pas m’acheter un matou pour essayer de remettre de l’ordre dans cette existence de saltimbanque échevelée. Finalement, devant la perspective de longs poils angora sur mes fringues, de l’odeur de la litière dans ma salle de bains au milieu de mes produits de beauté et de longues heures chez le véto à cent balles la consultation, j’ai abandonné ce projet pourtant soyeux. A la place, je suis allée m’inscrire au club de sport, où je peux désormais admirer de sains Allemands suant sur leurs machines.
Les ongles longs de trois centimètres, bombardés d’éclats de strass et rayés d’un coup oblique de laque violette, des cuisses d’acier, un micro près de la bouche comme Madonna sur scène, Jana ondule sur le podium. Dans la salle, vingt-cinq femmes et deux hommes (un très vieux, et un jeune gay) suivent les mouvements gracieux de Jana pendant ce cours de Body Balance (« équilibre du corps », donc) qui se déroule dans l’intimité étouffante d’un club de gym de Kreuzberg, à Berlin.
Ferme les yeux, écarte les cuisses dans la largeur naturelle de ton bassin, le nombril rentré, c’est ça, respire…
Jana susurre ses indications dans le micro qui ne perd rien de ses respirations langoureuses. C’est quasi-érotique. La salle est en transe.
Body Balance, Body Jam, Body Pump, Bauch-Beine-Po (Ventre-Cuisses-Fesses), Kondi-Boxing, les noms des cours de gym se succèdent avec un certain humour, ma foi. Prenons le dernier, par exemple, le Kondi-Boxing. Je n’ai jamais vu un truc aussi ridicule, une sorte de chorégraphie assaisonnée de mouvements de boxe. Certains fans s’enduisent de paillettes avant d’y aller. C’est tout juste s’ils n’ont pas des gants de boxe rouges. Mais mettez ces apprentis Rockys sur un ring, ils se fouleront le poignet au premier mouvement. Pour ma part j’ai mis un pain à une malheureuse participante, je n’avais pas bien compris qu’il ne fallait pas taper pour de vrai.
Sur des machines flambant neuves, des rangées de Berlinois transpirent, les yeux levés sur des télés accrochées au plafond comme à l’hosto. Image légèrement angoissante, oscillant entre Bienvenue à Gattaca et Le meilleur des mondes. La machine elle-même offre toute une série de divertissement à celui qui ne saurait se contenter de faire marcher ses muscles : connexion avec votre Ipod lui-même connecté à un preneur de pouls labellisé Nike (non, sans dec, on se demande bien qui a pu sponsoriser l’équipement de cette salle?), permettant d’écouter de la musique ET de savoir à quelle vitesse votre coeur bat et combien de calories vous cramez à la seconde ; élégant choix de circuits de course à pied (montagne, stade olympique, île déserte, wow) qui vous donne la délicieuse impression d’être à Ibiza en train de courir dans le chant des cigales, alors que vous êtes dans une salle qui sent comme le gymnase de vos années collège.
Ne vous méprenez pas, j’adore ma nouvelle salle de sport. En ce moment, j’écoute pas mal de vieux hip hop américain des années 90. Je me mets ça dans le casque, je grimpe sur la bête, je cours comme une dératée au son de paroles d’une vulgarité sans nom et j’ai l’impression de me faire Harlem et le Bronx dans mon petit short en rayonne. Le pouvoir de l’imagination est incroyable.
Cela a-t-il vraiment changé ma vie faite de trop de fêtes? Pas vraiment. Maintenant, je danse encore mieux… et encore plus longtemps. Rien n’y fait. J’ai beau travailler comme une dingue et tenter de brûler mes dernières cartouches sur une machine à fabriquer du muscle, il me reste encore de l’énergie à dépenser au fond d’un verre de martini ou dans les recoins sombres des clubs de Berlin. Mais bon sang, quelqu’un aurait-il l’antidote à cette nature de Partytier?
Commentaires