C’est la rentrée et pourtant, à Berlin, tout le monde s’en va. Car Berlin est une ville-parenthèse pour beaucoup, un espace de liberté qu’on s’offre plus souvent l’été que l’hiver, quand le temps est clément. L’ennui, amis lecteurs, c’est que votre blogueuse, qui s’attache aussi facilement qu’un labrador, a le cœur arraché lorsque ses amis de passage remballent leurs petites affaires et rentrent au pays. Après presque quatre ans de vie berlinoise, je ne m’y fais toujours pas. Verdammt !
Artistes en résidence, étudiants en Erasmus, correspondants en mission pour un magazine, thésards boursiers pour un an, flâneurs internationaux… ce sont des Berlinois temporaires. La capitale allemande en est pleine à craquer. Beaucoup de mes amis en sont.
Il y a trois ans déjà, j’ai fait une lourde perte, lorsque mon ami Tim, un surfeur australien plus sympa qu’un sémillant kangourou, avait décidé de rentrer au pays après deux ans de Berlinade. Tim avait des origines allemandes et était venu les retrouver. Il avait réappris la langue, travaillait comme graphiste free-lance. Le froid, le manque de boulot bien payé et l’absence complète de spots de surf l’a finalement convaincu de rentrer en Australie.
L’économie peu réjouissante de la capitale allemande, la barrière de la langue, insurmontable pour certains dirait-on, et l’hiver difficile font fuir bien des Berlinois de passage.
Tim et moi nous dîmes au-revoir devant le tramway jaune ; je cachais ma peine, il me souriait, toujours « positive, be positive », on se reverra disait-il, les vrais amis sont liés. Trois ans après, il est marié, s’est acheté une maison ; son business, à Melbourne, est florissant.
C’était la première d’une longue suite de disparitions en chaîne. Ma meilleure amie, Madame de., décida ensuite de rentrer en France pour poursuivre sa carrière d’actrice, avec un succès d’ailleurs assez spectaculaire. Maintenant, chaque fois que je passe devant la station de U-Bahn Gneisenaustrasse, j’entends ses éclats de rire, je la vois, belle et drôle, danser à la fenêtre de cet appartement que nous partagions dans la Zossener Strasse, à Kreuzberg. Un mirage.
Difficile de compter le nombre de fêtes d’adieu que j’ai faites ces trois dernières années : le groupe de pote rockeurs qui part tenter sa chance à New-York, la stagiaire française qui en a marre de se faire exploiter, ma traductrice et amie allemande qui s’arrache à vie à Taïwan sur un coup de tête en plein milieu du montage de notre pièce de théâtre…
Mais ces derniers temps, c’est l’hécatombe. Je me demande comment je vais survivre. Quand Ekatarina m’a annoncé, perchée sur son balcon, moi en dessous, qu’elle avait obtenu sa bourse pour son PhD à Seattle, c’était Roméo et Juliette à l’envers. J’ai cru que j’allais mourir sur place, qu’on allait zapper les actes III et IV et passer tout de suite à l’acte V. A la place de la fiole de poison, j’achetai du pinard, que nous bûmes pour faire semblant de fêter la bonne nouvelle. Ekatarina est partie depuis un mois et tout Neukölln semble désert désormais.
Puis ce fut le tour de Nicolas, l’enfant de Marx et Coca-Cola (voir son blog ici), un jeune Québécois à mèche et accent, une race que je chéris et dont le chef de file est Xavier Dolan, bien entendu. J’ai cherché un patch antidouleur, qui soulage les maux d’adieux, et je n’en ai point trouvé. Verdammt.
Je m’apprête désormais à dire au-revoir au prince de mon cœur, que l’on envoie de force dans une grosse boîte au Qatar, le pauvre. Autant dire dans un camp de travaux forcés capitaliste. Ils s’en vont tous, et moi je reste là, les pieds dans le béton berlinois, mes sandales d’été se mueront bientôt en bottes fourrées à crampons, la brise d’été viendra me fouetter le visage dans son nouvel habit glacial, la neige tombera sur mes épaules comme elle tombe, près de moi, sur Oskar, le labrador qui attend son maître à la sortie du Lidl.
Oui, il y a les amis qui arrivent aussi, et ceux qu’on rencontre, chaque jour, parce que Berlin est inépuisable de merveilles, de gens précieux et rares ; mais aucun être n’est remplaçable.
A ceux qui partent, j’attends votre retour, au coin de la Hobrechtstrasse et de la Prenzlauer Allee.
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