Copyright Jacob Hopkins, Berlin 2012
« Chienne! » Chienne, c’est ce que Sofie Peeters entend quand elle traverse la rue à Bruxelles dans sa robe d’été. Chienne! Salope! P’tites fesses! C’est à vous soulever le cœur de dégoût et son documentaire, « Femme de la rue », le prouve. A Berlin, les femmes entendent bien plus rarement (voire jamais) ce type d’insultes sur leur passage, peu importe leur tenue vestimentaire. Affaire de culture du cul, affaire d’éducation-cul. Éloge de la retenue allemande (pour une fois).
Sofie Peeters, une étudiante installée à Bruxelles, vient de défrayer la chronique avec son film Femme de la rue. Grâce à une caméra cachée, on découvre le quotidien d’une jeune femme qui déambule dans la rue dans une robe d’été même pas provocante : un parcours semé d’insultes et de harcèlements (j’t’offre un verre, mais chez moi, pas au café, l’hôtel direct tout ça tu connais…)
Triste réalité. Rien de nouveau sous le soleil, certes, mis à part le fait qu’une courageuse étudiante en cinéma a voulu en faire un film et que ce documentaire étale crûment la bassesse de ces propos masculins.
Moi qui partage mon existence entre Paris et Berlin, je pourrais ajouter quelques minutes au film de Sofie Peeters.
Première séquence, Berlin : votre blogueuse se rend à une fête de Nouvel An, habillée comme une outrageante drag queen. Legging en or qui moule le popotin, fausse moumoute blanche, paillettes vertes sur les pommettes, chaussures compensées et cheveux en folie (ben quoi, c’est la fête oui ou flûte?! on n’est pas sur un blog de mode ici, j’ai droit à l’excès et au mauvais goût, que je sache) Je traverse Schlesisches Tor, un quartier sympa de Kreuzberg bordé de restos turcs. Si les têtes se retournent, si les commentaires fusent, ils sonnent plutôt agréablement :
– Eh! t’es folle, j’adore!
– Je suis chercheur d’or, je t’offre une pizza ma pépite!
– Wow, ça flashe!
Pas de quoi foutre qui que ce soit en taule pour insulte sexiste, nous sommes d’accord.
Deuxième séquence, Paris : vers Charonne- Faidherbe, votre blogueuse, au mois de janvier, se promène en bottes de moto, blouson râpé et jean large. Tenue très peu sexuelle, il me semble.
– Tss tss, t’es charmante, tu suces?
– T’aurais pas dû laisser ton mec à la maison…
Troisième séquence, Berlin, été : votre blogueuse en robe très légère a encore oublié son soutif chez un bel Allemand. Mais de commentaires dans la rue, point. Je vais, sautillante, libre comme l’air, pensant que je vais peut-être brûler mes autres soutifs, comme ma mère il y a quarante ans. Quelques têtes se tournent, des yeux se perdent, n’osent pas insister – les Allemands ont presque honte de regarder les filles passer. Arrivée chez mon ami Helmut pour déjeuner, j’ai droit à des bras grand ouverts : « pas de soutien-gorge, c’est ça une vraie femme! »Et, à table, tout le monde me parle dans les yeux.
Quatrième séquence, Paris, été : pour échapper à l’insistance latine, je porte volontairement un futal volé à mon grand-père, mais par 30 degrés rien n’a pu me résoudre à porter cette affreuse prothèse de chez Princesse Bum-Bum.
– Ouh c’est chaud là, c’est dehors ou c’est toi? Chaude chaude, tss tss viens là…
– T’es bonne!
– T’habilles pas comme ça si tu veux pas qu’on te parle…
N’est-il pas triste de penser qu’à mon âge avancé, mes parents s’inquiètent encore de me voir prendre le métro en jupe à Paris passé neuf heures du soir? Tandis que j’arpente, nue si je le veux, les rues de Berlin à l’heure du loup sans entendre le moindre commentaire? La seule et unique fois où l’on m’a mis la main au panier dans un bar à Berlin, c’était un… Français. La grande classe hexagonale, mec! Tu exportes avec habileté ce qu’on fait de mieux en France!
L’élégance à la française devra peut-être bientôt aller se réfugier dans des pays plus accueillants. Quand les rues de Berlin seront peuplées de minijupes frenchy même par -20 degrés, et que toutes les jolies gambettes de Marseille, Paris ou Tourcoing seront planquées dans des salopettes à la Coluche, il ne restera plus grand-chose au charme légendaire de la capitale de l’amour.
Et nos amis germains, eux, pourront se réjouir pour une fois d’être nuls en drague : à eux les petites robes, les décolletés et les œillades. Ach, wunderbar!
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