Détournement de l’affiche de campagne de Nicolas Sarkozy « La France forte »
Loin de la fièvre hexagonale, le vote des Français à Berlin se déroule dans la douceur des journées printanières et se clôt par des grillades de saucisses sur les toits et dans les jardins publics. La queue interminable devant les urnes à l’Ambassade de France le prouve : le sentiment d’appartenir envers et contre tout à ce pays que nous avons volontairement quitté est plus fort que jamais.
Le coeur battant, la pince à merguez en suspens, les Français de Berlin regardent les résultats des élections sur les terrasses de leurs apparts trois fois plus grand qu’à Paris. En buvant leur bière à un euro dans leurs fringues vintage à trente balles l’ensemble, ils se sentent tout aussi nerveux que lorsqu’ils habitaient à Paris ou à Dijon, dans des cages à lapin qui leur coûtaient les trois quarts de leur salaire, et qu’ils venaient de voter pour le candidat qui leur promettait un avenir économique meilleur.
Pourtant, nous autres Français de Berlin avons fait le choix de quitter la France. En cette fin d’avril presque estivale, les expats, les étudiants et les artistes français en exil pourraient se contenter de jouir de leurs balcons fleuris et de leur incroyable quantité de temps libre pour aller ramer sur un lac ou draguer la Prussienne. Mais non : l’angoisse nous étreint tous.
Le jour du premier tour, on cramait des Bratwursts chez un ami américain. Ce fils de cowboy nous regardait, amusé, mourir de honte devant le score de Marine Le Pen. Nos amis allemands paraissaient effarés. Est-ce que le Front National est nazi? En bons Français, il nous fallut aussitôt exprimer notre désaccord avec le vote de ces 17,9% de nos compatriotes et déboucher quelques bouteilles de rosé pour oublier. Les discussions allaient bon train, les pronostics et les nouvelles de dernière minute aussi.
Perdue au fond de mon verre de riesling, je me sentais un peu en retrait. L’impression sinistre d’avoir déjà assisté plusieurs fois à cette discussion, à ces élections, comme si l’on n’avait fait que changer les protagonistes de cette mise en scène, me donnait presque envie de changer de passeport.
Pourtant, l’herbe politique n’est pas vraiment plus verte ici – hormis tout de même le fait que les Germains, eux, n’ont pas peur de voter pour une femme. Les acquis sociaux français ont beaucoup à apprendre au misérable système de sécurité sociale allemand. En cela, par exemple, voter depuis Berlin peut être vu comme un acte citoyen à échelle européenne.
Mais c’est bien cela qui manque encore : l’européanité. Français, nous votons avec passion depuis notre exil, mais nous nous intéressons très peu aux affaires politiques allemandes. Pourquoi? L’éducation politique européenne ne se fait pas, alors que les plus gros dossiers se jouent par-dessus les têtes de nos dirigeants et que Bruxelles semble complètement déconnectée des citoyens.
Les saucisses grillent et les Français tremblent pour leur pays. Un sentiment justifié, mais qui me laisse un goût amer. Le triste sort d’Eva Joly, perpétuellement ramenée à ses origines norvégiennes pendant la campagne présidentielle, le montre : les Français ne se sentent pas européens. Quand déciderons-nous de nous départir de nos oripeaux nationalistes pour nous préoccuper d’une politique à la hauteur d’une économie mondialisée depuis longtemps?
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