(Ayez la classe. Dites-lui « je t’aime » sans accent)
Un des symptômes les plus honteux que développent les Français à Berlin est celui-ci : une formelle incapacité à parler l’allemand au bout de quatre ans de « squat » dans la ville la plus cool d’Europe. Si vous en êtes, ne quittez pas cette page, on va vous soigner. Si vous n’en êtes pas, je vous félicite et vous conseille de rester un peu pour vous moquer gentiment des précités.
« Euh, iche meuchte, euh, Kartoffel, euh, nein euh ein Courriwourst mit Seife bitte ». (Euh, une patate, non euh « un » saucisse au savon s’il vous plaît).
Telle est la première phrase que votre humble servante a balbutiée lors de son arrivée en Allemagne, au fameux stand de chez Konnopke, le meilleur vendeur de saucisses au curry de la ville, déclenchant l’hilarité des vendeuses. Les charmantes me montrèrent la savonnette et me demandèrent, rigolardes, si c’était bien ce que je voulais sur ma saucisse. Devant ma confusion, elles rectifièrent:
Senf!
Oui, de la moutarde. Pas du savon (Seife).
L’allemand, c’est difficile. Cette façon de penser à l’envers, bon sang, d’aller vous coller les verbes à la fin et les adverbes en début de phrase, qui vous met vingt ans de grammaire bien apprise sens dessus dessous! Pour cette raison, beaucoup d’étrangers se contentent de venir investir Berlin sans se donner la peine d’apprendre la langue indigène.
Cette attitude agaçante est celle de presque toutes les populations non germanophones vivant dans la capitale, hormis les Scandinaves et les Néerlandais, ceux-là toujours prêts à parler huit langues sans la moindre trace d’accent. Mais honte aux Français, aux Américains, aux Anglais, aux Australiens, aux Grecs, aux Espagnols et aux Italiens : avec une mémoire génétique implacable, ils se replient sur leur patrimoine culturel, oubliant que l’intégration ne concerne pas que les Turcs ou les Vietnamiens.
Mon ami Dimitris, un Grec de New-York, a réussi à passer dix ans de sa vie dans la capitale allemande sans être fichu de commander au restaurant. Sa connaissance de la culture locale se réduisait à l’exploration du dessous des jupes des Allemandes (ce qui n’est pas toujours une mince affaire, cela dit). Il n’est pas difficile pour un anglophone de faire son chemin dans une ville aussi cosmopolite que Berlin sans parler l’allemand, si l’on s’en tient à la fréquentation assidue des clubs et des bars à la mode. Car le Berlinois de moins de soixante ans aime montrer qu’il parle l’anglais comme un chef, qu’il est moderne, ouvert sur l’étranger et qu’il a voyagé sac au dos en Californie.
Pourtant, apprendre l’allemand est indispensable pour qui veut s’installer durablement à Berlin. Pourquoi? Parce que vivre entre le pub anglais et la boîte techno dernier cri, ça ne remplit pas une vie. A moins d’être dealer de drogue bien sûr, ou d’envisager la prostitution comme un avenir radieux. Pour payer votre loyer, cher immigré français, va falloir vous y coller.
Pas de vrai job à Berlin sans maîtrise de la langue, aussi bien écrite que parlée. Pas de crédibilité face aux assurances maladies, aux agences pour l’emploi, aux syndics d’immeuble, ou même face à votre boulangère si vous n’êtes pas assez malins pour comprendre ce qu’ils vous disent.
D’autant plus que le Français ayant réussi à dompter la langue de Goethe se voit aussitôt récompensé. Son accent est déclaré « adorable » et lui confère plus d’aura que le martini à James Bond. Et ses efforts pour parler cette langue âpre, mais sophistiquée, l’élèvent au rang d’intellectuel brillant.
Pour apprendre, il y a plusieurs méthodes.
Prendre des cours d’allemand. Plus cher, mais efficace, surtout pour ceux qui n’aiment pas mal parler au début et préfèrent se préparer en cachette une grammaire du feu de dieu.
Partir en séjour d’intégration, la méthode quasi-carcérale que les indisciplinés choisiront ; toujours très efficace.
Tomber amoureux. C’est ce que j’ai fait, ça paie, mais ça peut se payer cher aussi! C’est la technique la plus risquée, parce qu’elle peut s’arrêter à mi-chemin en cas de désamour brutal d’une des deux parties.
Utiliser des méthodes audio, sans doute la moins efficace : je ne connais personne d’assez discipliné pour se forcer à ingurgiter de la grammaire, sans personne pour l’y obliger, après une nuit de fête ou une journée de boulot.
Et enfin, la plus aléatoire et la plus dangereuse pour la santé : ne parler allemand que lorsque vous êtes ivre. Je l’ai fait un peu, c’est très désinhibant, on ne se sent pas obligé de respecter la grammaire après plusieurs vodkas, mais il faut avoir quelques rudiments, tout de même.
Allez, au boulot. Vous me direz Danke, j’en suis sûre. Viel Erfolg! *
* Bonne chance!
Commentaires