Crédit:

Veiel ou l'autre cinéma allemand

L’affiche du film « Wer wenn nicht wir » du cinéaste allemand Andres Veiel

Ennuyeux, lent, lourd, le cinéma allemand ? Aux yeux de beaucoup Français, en tout cas. Si les cinéphiles se souviennent de Wenders avec des trémolos dans la voix (« il était tellement meilleur dans les années 80 ! ») ou de Fassbinder, le grand public ne connaît que le succès mérité de « La vie des autres ». Et l’Ecole dite Berlinoise, avec ses œuvres intellos, sèches et sombres n’a pas arrangé la réputation des films d’Outre-Rhin. Encore un peu méconnus du grand public gaulois, les excellents films documentaires d’Andres Veiel sont pourtant la preuve que le cinéma allemand est bien vivant. Rencontre avec le maestro à la FilmArche, l’école autogérée de cinéma de Berlin.

En ce soir de décembre, un froid noir d’encre règne sur la grande capitale allemande. C’est pour venir écouter Andres Veiel que les étudiants et cinéphiles berlinois ont bravé l’hiver et se sont amassés dans le foyer de la FilmArche, l’école autogérée de Berlin, avides de savoirs, d’expériences, d’anecdotes, bombardant le cinéaste de questions. Ils participent beaucoup, s’enthousiasme Veiel, presque ému, qui, généreusement, parlera ce soir-là trois heures sans réussir à raser son public.

C’est que Veiel, réalisateur bardé de décorations (Prix du Cinéma Européen, Prix du Cinéma Allemand, Prix Adolf Grimme à la Berlinale, Prix de la Critique Allemande et je m’arrête là parce qu’il y en a quarante autres derrière) est pourtant un électron libre du cinéma dont l’intellectualisme sans pose fait une icône pour les jeunes cinéphiles allemands.

Vigoureux, musicaux, passionnés, ses films agitent l’histoire allemande comme dans le très célèbre Black Box RFA, qui oppose un portrait d’activiste de la Fraction Armée Rouge (la Bande à Baader, comme on dit bêtement chez nous) à celui d’un banquier, victime supposée de l’autre, mort dans un attentat en 1989.

Ce documentaire, véritable bijou du genre, réussit le tour de force de ne prendre parti pour personne sans être neutre. C’est après vous être profondément ému devant le père du jeune terroriste perdant sa langue, s’embrouillant soudain, étouffé par les souvenirs douloureux et la stigmatisation sociale, que vous pleurerez discrètement avec l’épouse du banquier assassiné. Et la mise en scène soignée d’une caméra tournant autour des employés de ménage astiquant la grande banque allemande, ou d’un morceau de rock mélancoliquement enragé qui accompagne les images des banlieues laides de Francfort mettent à nu le fossé, immensément triste, entre deux générations d’Allemands. Il y a celle des années d’après-guerre qui rêve de prospérité et de transmettre un héritage bourgeois dont elle fut privée, et celle d’après, qui voit sa liberté ligotée et ses aspirations incomprises.

Après cet illustre film, Veiel le chercheur fou a mis au jour un célèbre livre portant le même nom, frustré qu’il était de ne pouvoir raconter toutes ses enquêtes au cinéma. En 2011, dix ans après Black Box RFA, Veiel continuait de gratter la poussière qui recouvre les vieux dossiers de la Fraction Armée Rouge en faisant naître sur les écrans de la Berlinale son premier film de fiction, présenté, pardon du peu, en compétition officielle. Ce fut Wer wenn nicht wir (If not us, who ?), la meilleure fiction que j’aie vue à ce jour sur les premières heures de la RAF.

Ainsi Andres Veiel, hélas trop peu connu en France, serait le moyen pour nous de mieux comprendre l’Allemagne. Nous, les Français donc, en sommes sottement restés à une image audiovisuelle d’Epinal ou plutôt d’Auschwitz de l’Histoire allemande, ponchour-Papa Schulz et arrrrrrrrrrtung-papier la grande vadrouille. Pathétique. Qu’attendent les distributeurs de films pour diffuser l’œuvre de Veiel plus largement en France et avec les honneurs qui sont dus à un cinéaste d’envergure ?

Et surtout pourquoi, dans les écoles, montre-t-on moult images des corps décharnés dans les camps, et les punitions internationales bien orchestrées des bourreaux nazis à Nuremberg et jamais rien d’autre – comme si l’histoire de notre grand pays voisin s’arrêtait en 1945 ?

Pourtant, Veiel aussi a abordé le sujet de la persécution des Juifs par l’Allemagne. Magnifique portrait d’une actrice juive âgée de 83 ans qui s’emporte contre le jeune réalisateur, lorsqu’il lui demande de raconter « sa » guerre. C’est des vieilles histoires tout ça, pourquoi se faire mal, pourquoi remuer tout ça. Il vaut mieux parler du futur, parler de la pièce de théâtre dans laquelle je joue maintenant. Pourquoi tu fais ça ?

Mais on peut aussi ne pas être féru de documentaire historique. Alors regardez et savourez Die Spielwütigen (Addicted to Acting), un film épatant sur quatre apprentis acteurs de l’école nationale de théâtre Ernst-Busch. Andres Veiel a suivi ces jeunes acteurs sur plus de six ans, depuis leur audition à l’école, le visage boutonneux à peine émergé de l’adolescence, à leurs premiers pas sur les grandes scènes nationales, le menton fier et le corps bâti par des années d’entraînement à la danse, l’escrime et les jeux épuisants de la scène. Qui peut ne pas être ému devant cette gamine maladroite qui joue à ses parents un cabaret dans leur salon de coiffure à dix-huit ans, et que l’on retrouve, svelte et passionnée, maîtresse de tous ses gestes, sur la grande scène du théâtre de Leipzig?

Le cinéma de Veiel, c’est un peu une autre idée de l’Allemagne, comme qui dirait dans une pub d’office du tourisme. Oui, parce que nous, les Grenouilles, les Frenchies, les Coqs bien ergotés, nous pensons que les Fritz, les Boches, les mangeurs de saucisses, en sont encore à détester les Juifs et à faire le salut nazi en rotant de la bière.

Le franco-allemand passera par le cinéma, qu’on se le dise, nom d’un petit apéro saucisson-vin rouge. Alors, au boulot, mesdames et messieurs les distributeurs, les cinémathéqueurs et les profs d’Histoire, montrez du Veiel aux enfants de la France.

Partagez

Auteur·e

manon

Commentaires

Agnès
Répondre

Je note, je note :) . Dans un autre genre, mais tout aussi dynamique et contemporain, il y a Fatih Akin, dont les films font rire et pleurer et remuent magnifiquement les tripes du spectateur!

manon
Répondre

Fatih Akin j'aime aussi, surtout "De l'autre côté", où Hanna Schygulla est extraordinaire en mère tigresse...

Auguste
Répondre

Head On

Agnès
Répondre

Impossible de choisir entre la force brute de Gegen die Wand (Head on) et la retenue de Auf der anderen Seite (De l'autre côté), les deux sont superbes. Et j'aime aussi sa comédie Soul Kitchen.

Chacha

Moi aussi j'adore Fatih Akin, surtout "Auf der anderen Seite". Mais j'ai toujours eu un faible pour Hanna Schygulla...

manon

Pareil... d'ailleurs je l'ai rencontrée, elle est toujours aussi belle et charismatique!

Fafa
Répondre

chénial chénial chénial ... je me jette dessus.