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Arrêt de bus : Berlin Kinder

Ce qu’il y a de plus chouette, dans le bus, à Berlin, ce sont les enfants. Marcel a failli me pourfendre avec un rouleau de nappe en papier. Bénédicte m’a expliqué en français que sa mère était nulle en allemand. Ahmad m’a raconté son exil depuis la Palestine et m’a demandé si je pouvais le faire tourner dans un porno. Bushaltestelle Berlin Kinder*!

En sortant de la boulangerie avec mon Laugencroissant, ma cuisse rencontre douloureusement un rouleau de nappe en papier tenu par un gamin à lunettes qui fait de grands moulinets.

Excuse-moi. J’ai cru que t’étais une ninja, me dit-il.

Je ris et m’éloigne. Mais l’enfant me suit.

Tu vas prendre le bus? me demande-t-il.

J’acquiesce. Il prend le bas de mon manteau et m’attire vers lui. Il me désigne un bouton à presser pour faire passer le feu piéton au vert. De l’autre main, il fait une ombre sur l’enseigne lumineuse « Signal kommt » qui indique que la voie va bientôt être libre.

Tu vois? Tu appuies sur ce bouton et ça va plus vite. Tu t’en souviendras, la prochaine fois.

Je n’ose pas lui dire que je connais déjà la combine et me laisse entraîner par cet enfant qui ne doit pas avoir plus de neuf ans et se comporte d’une manière étrangement protectrice. Je lui demande son prénom. Marcel, répond-il, très grave. Il ne me demande pas comment je m’appelle en retour. Il s’inquiète, il veut absolument que je monte dans le bon bus. Le 171 fait un détour très long, fais attention, pour aller à Hallesches Tor tu dois prendre le M41. J’ai déjà pris cette ligne de bus mille fois, mais je fais semblant d’être complètement naïve.

Je lui demande où il va – à l’école? chez ses parents? Il ne répond pas, agite son rouleau de nappe en papier, se précipite régulièrement au milieu de la chaussée pour guetter l’arrivée du bus. Tout à coup, il s’écrie que son bus est là, que je dois prendre le M41 et surtout pas le 171, puis disparaît sans prévenir dans le véhicule. Tchüss Marcel.

C’est aussi sur la ligne du M41 que j’ai rencontré Ahmad, Jamal et Ossama. Quand je suis entrée dans le bus, j’ai eu droit à une ola plutôt embarrassante de la part de trois ados en survêt’ qui me semblaient légèrement éméchés. Le bus était presque vide et j’étais la seule personne de sexe féminin en dessous de soixante-quinze ans. Je m’assieds à l’écart pour être tranquille, mais Ahmad se glisse sur le siège à côté de moi.

Française? s’exclame-t-il.

Les yeux écarquillés, je lui demande comment il s’en est aperçu. Il explique que mon chapeau est un chapeau « français » (une… chapka que je tiens d’une aïeule polonaise, sic). J’éclate de rire. La chapka, c’est russe, mon petit bonhomme. Et voilà Ahmad qui achève de me conquérir en déclarant, un grand sourire sur les lèvres

Ton chapeau n’est peut-être pas français, mais toi oui, parce que tu ris! Les Françaises rient tout le temps!

Ahmad et ses amis vont au bahut, ils ont quinze ans. Ils sont palestiniens, nés là-bas. Ils sont arrivés il y a trois ans. Réfugié politique, souligne Ossama avec fierté. Ils veulent savoir ce que je fais. Je réponds que je vais à l’école de cinéma. Mes trois nouveaux amis bondissent.

Fais-moi jouer! s’écrie Jamal, le plus beau des trois, un visage en lame de couteau et des yeux noirs de fille. Il me donne son numéro. Appelle-moi, je ferais n’importe quoi pour être dans un film.

Ahmad, le rigolard un peu rondouillet, regarde ça avec amusement. Il arrache presque mon agenda des mains de Jamal pour écrire son numéro. Tu peux me faire jouer dans un porno, tu sais. Je lui demande son âge. Quinze ans. Je dure très longtemps, tu vois ce que je veux dire? Il éclate de rire. Terminus, je descends avec mes trois escort boys.

Tu peux faire un documentaire sur nous, suggère Ossama. Chacun de nous a été en prison! Ça fait pas un bon sujet, ça?

Pas le temps d’en savoir plus : le bus repart dans l’autre sens. Les garçons bondissent à nouveau dans le véhicule en me faisant de grands signes d’adieux. Appelle-nous! Par ennui, ou par amour de l’absurde, ils faisaient ainsi, plusieurs fois par nuit, des allers-retours dans le bus… dans l’espoir de rencontrer Steven Spielberg, peut-être…

Et pour clore ce court panorama des étranges et poétiques lutins qui peuplent le bus berlinois, une phrase mythique de la petite Bénédicte (5 ans), fruit d’un amour franco-allemand, qui m’a adressé la parole parce qu’elle aimait bien mon rouge à lèvres dit « de princesse »: Ma mère, elle est complètement nulle en allemand, heureusement qu’elle m’a, moi, pour traduire!

* traduction: Arrêt de bus : Enfants de Berlin!

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Auteur·e

manon

Commentaires

alice
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J'adore cet article !
Quelle jolie histoire de lutins de bus :-))
merci !

roux alain
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ça n'arrive pas dans le U Bahn ou S Bahn ce genre d'histoires... Je vais prendre plus souvent le bus.

Nico
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Ca dépend des lignes de bus!

Dans tous les cas, s'il y a bien quleque chose d'internationale, c'est la capacité qu'ont les gamins à pouvoir te raconter quelque chose qui te touche ou t'interpelle.