La capitale allemande a des charmes que les compagnies low-cost ont bien compris. Pour environ 80 euros aller-retour, les touristes européens, jeunes et fêtards pour la plupart, envahissent désormais Berlin. Mais, et j’en suis l’une des représentantes, c’est surtout toute une génération de jeunes artistes qui viennent chercher ici la liberté qui leur manque à Paris, Londres ou Madrid. Au point de ne plus savoir sur quel pied danser, lorsque la réalité économique de la ville leur apparaît après des mois de deutsche dolce vita.
Laissez-moi vous raconter une folle histoire d’amour, la mienne. En 2001, j’étais en échange universitaire avec la Humboldt, une des grandes facultés de Berlin. Imaginez une Française de dix-neuf ans, ivre de liberté et de voyages, catapultée chez deux gays mangeurs de mangue qui passent leur vie à organiser des fêtes dans leur jacuzzi! 2001, c’était un peu encore les belles années de la techno, du LSD, des loyers à 300 Marks (150 euros!) dans les apparts délabrés de cent mètres carrés du quartier de Prenzlauer Berg. On se chauffait au charbon, on connaissait les voisins : le peintre, la danseuse, le vidéaste sans le sou avec son vieux clébard frisé. Je suis tombée amoureuse de cette ville.
En rentrant à Paris, dans ma chambre de bonne de sept mètres carrés envahie de cafards, je pleurais à chaudes larmes en regardant la silhouette moqueuse de la Tour Eiffel par ma fenêtre. A l’époque, on avait le choix entre Lufthansa et Air France pour faire un Paris-Berlin ; autant dire que mes moyens ne me le permettaient jamais.
Et puis avec l’âge, et l’indépendance financière, je suis allée retrouver mon vieil amour pour des escapades passionnées. Grâce à qui? Grâce à Easyjet, meilleur ami des passionnés de Berlin, qui venait de balancer sa bombe économique sur l’Europe en ouvrant des liaisons aériennes un peu partout.
En 2009, faisant fi de tout, je m’y suis installée. J’y ai vécu deux ans de bonheur, même si Berlin avait drôlement changé – plus aucun artiste n’a les moyens ni l’envie de vivre dans le quartier de Prenzlauer Berg devenu un Notting Hill à l’allemande. Mais la deutsche dolce vita est toujours là, avec ses bars pas chers, ses fêtes jusqu’à l’aube, ses galeries qui poussent comme des champignons, ses collectifs d’artistes rigolos… pour échapper à la gentrification, les Berlinois fauchés investissent les quartiers périphériques, et la fiesta continue.
2011 : me voilà brutalement confrontée à la réalité économique de Berlin après un licenciement abusif. A Paris, je touchais l’intermittence du spectacle, travaillant certes dur, mais vivant de mon métier. A Berlin, les artistes sont obligés d’accumuler les petits jobs (mon ami Thomas en a eu jusqu’à trois par jour) – vendeur, serveur, traducteur – pour pouvoir compenser la maigreur de leurs revenus. Ce n’est pas à Berlin qu’on touche 300 euros par jour pour jouer au théâtre, ce n’est pas à Berlin qu’on vend les toiles longuement préparées dans le secret de l’atelier, ce n’est pas ici non plus qu’un caméraman enchaînera les tournages.
Le revenu minimum n’existe pas en Allemagne, aggravant une situation économique déplorable à Berlin – serveuse à quatre euros de l’heure, vous serez souvent obligée de laisser vos pourboires à votre patron qui décrètera que « si vous n’êtes pas contente, il y en a quinze qui font la queue pour ce boulot ». Les professions libérales et les artistes sont forcés de s’assurer eux-même, puisque l’équivalent de notre Sécurité Sociale n’existe que pour les salariés dits de classe 1. Le coût d’une bonne couverture maladie à Berlin s’élève à 200 euros par mois. Difficile quand on en gagne 800.
C’est pourquoi j’ai pris la décision de retourner travailler en France, comme de très nombreux compatriotes rencontrés à Berlin. Pierre, un artiste plasticien de ma connaissance, a eu à ce sujet cette phrase édifiante : Tu vas faire comme nous tous, Manon : tu vas bosser à Paris, et claquer des thunes françaises à Berlin.
Entre la liberté de création de la capitale allemande, et la rigidité souvent étouffante mais plus lucrative de la Ville lumière, ma génération a donc choisi de s’en remettre à… Easyjet.
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